Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/313

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étoit fille du feu duc de Chevreuse, par conséquent intimement mon amie, et de tout temps dans la plus étroite liaison avec Mme de Saint-Simon. Causant un soir avec elle, elle se mit sur le propos de M. de Fréjus, et me reprocha que je ne l’aimois point. Je lui en témoignai ma surprise, parce qu’en effet je n’avois nulle raison de l’aimer, ni de ne l’aimer pas. Le hasard ne me l’avoit point fait rencontrer chez elle dans les derniers temps du feu roi, où leur amitié se lia, et elle étoit presque la seule personne fort de mes amies qui fut la sienne, et depuis la régence, lui et moi occupés de choses toutes différentes, n’avions point eu d’occasions de nous voir. Cela ne la satisfit pas ; elle revint d’autres fois à la charge. Je jugeai donc que c’étoit de concert avec M. de Fréjus, qui de loin vouloit ranger tous obstacles. Je répondis toujours honnêtement pour lui, parce que je n’avois nulle raison de répondre autrement, tellement qu’enfin il m’attaqua de politesse, puis de courte conversation chez le roi, et peu de jours après vint chez moi à l’heure du dîner m’en demander. De là, il vint assez souvent chez moi, souvent aussi dîner, et je l’allai voir quelquefois les soirs. Il étoit, comme on l’a dit ailleurs, de bonne conversation et de bonne compagnie, et il avoit passé sa vie dans le monde le plus choisi. À force de nous voir, les raisonnements sur bien des choses entrèrent dans nos conversations.

Un soir assez tard que j’étois chez lui, quelque temps après qu’il eut commencé ses fonctions de précepteur, on lui apporta un paquet. Comme il étoit tard, et lui en robe de chambre et en bonnet de nuit au coin de son feu, je voulus m’en aller pour lui laisser ouvrir le paquet. Il m’en empêcha, et me dit que ce n’étoit rien que les thèmes du roi qu’il faisoit faire aux jésuites qui les lui envoyoient. Il avoit raison de prendre ce secours ; car il ne savoit du tout rien que grand monde, ruelle et galanterie. Sur ce propos des thèmes du roi, je lui demandai, comme ne l’approuvant pas, s’il projetoit de lui mettre bien du latin dans la tête. Il