Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/395

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paru content. Il insista et me conjura de lui dire si le cardinal n’avoit point eu le malheur de lui déplaire. Sur ce que je le rassurai fort là-dessus, il me dit que cela augmentoit sa surprise ; alors il me dit que l’abbé d’Auvergne, qu’il voyoit très souvent, parce qu’il étoit ami particulier de tout temps de toute sa famille, et qui se donnoit pour être fort le sien et celui du cardinal de La Trémoille, avoit fait proposer à ce cardinal de lui donner la démission de l’archevêché de Cambrai, et fait entendre que M. le duc d’Orléans le vouloit ainsi ; mais qu’il aimoit mieux n’y pas paroître ; que le cardinal, à qui cela avoit semblé extraordinaire, n’y avoit pas ajouté grande foi, mais que les instances s’étant redoublées avec des avertissements qui dénonçoient la menace, il n’avoit pu croire que l’abbé d’Auvergne allât jusque-là de soi-même ; que, dans cette inquiétude, il lui en avoit écrit, à lui duc, pour savoir ce qu’il plaisoit au régent, à qui il donneroit sa démission pure et simple toutes les fois qu’il le désireroit, puisqu’il tenoit la place du roi, et que c’étoit de sa grâce qu’il avoit reçu cet archevêché ; que cette affaire les affligeoit fort l’un et l’autre ; qu’il avoit cherché les moyens d’être éclairci des volontés du régent sans avoir pu trouver de voie sûre ; que, tandis qu’il les cherchoit, les instances s’étoient redoublées avec un équivalent de menaces des conseils de céder, de s’en faire un mérite, et des protestations de la peine et de la douleur où cette volonté déterminée du régent le jetoit lui-même abbé d’Auvergne, son ami, son parent, son serviteur de lui et de son frère, de tous les temps ainsi que de toute sa famille, etc. Que dans cette crise, ne sachant au monde à qui s’adresser, il avoit imaginé la voie qu’il prenoit avec confiance, et le compliment au bout.

Ma surprise fut telle que je me fis répéter la chose deux autres fois, sur quoi la duchesse de Noirmoutiers alla chercher les lettres du cardinal, et m’en lut les articles qui regardoient et qui énonçoient ces faits, et la perplexité où