Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/442

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leurs plus fortes démarches et leurs offices les plus vifs aux siens, auprès du pape, pour en obtenir cette privation du chapeau ; mais cela fut éludé à Rome, où on obtiendroit plutôt une douzaine de chapeaux à la fois, quelque chère et difficile que soit cette marchandise, car c’en est une en effet, que la privation d’un seul. Cette cour qui a élevé si haut cette dignité si vide de sa nature, et qui, à force de la revêtir et de la décorer des dépouilles des plus hautes dignités sacrées et profanes, sans être elle-même d’aucun de ces deux genres, est parvenue avec tout l’art de sa politique à en faire l’appui de sa grandeur, en fascinant le monde de chimères, qui à la fin sont devenues l’objet de l’ambition de toutes les nations, par les richesses, les honneurs, les rangs et le solide, dont elles se sont réalisées ; et de là, montant toujours, cette pourpre est arrivée à rendre inviolables les crimes les plus atroces, et les félonies les plus horribles de ceux qui en sont revêtus. C’est le point le plus cher et le plus appuyé des usurpations de leurs privilèges, parce que c’est lui qui est le plus important à l’orgueil et à l’intérêt de Rome qui se sert de l’espérance du chapeau pour dominer toutes les cours catholiques, qui, par ce chapeau, soustroit les sujets à leur roi, à tous juges pour quoi que ce puisse être, qui domine tous les clergés, qui est seule juge et la souveraine de ces chapeaux rouges, qui leur fait tout entreprendre et brasser impunément, et qui se trouve par là si intéressée à soutenir leur impunité, qu’elle ne peut se résoudre à y faire la moindre brèche en choses dont le fond ne l’intéresse point, comme les crimes qui lui sont étrangers, même ceux qui ont offensé les papes, comme Albéroni avoit fait avec si peu de ménagement, tant de fois, de peur que la privation du chapeau devint et pût passer en exemple, et privât les papes des pernicieux usages qu’ils ont si souvent faits des cardinaux, que la vue de pouvoir être dépouillés de la pourpre arrêteroit en beaucoup d’occasions.

Ce raisonnement est tellement celui de la cour de Rome,