Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/103

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et peu préparé que pût être M. le Duc à cette remise des passeports entre ses mains pour les donner à Law, comment voulut-il s’en charger, et comment ne sentit-il pas le but de ce passage par ses mains ? Quelle autre raison de ce passage put-elle se présenter à lui ? et tout homme en place de finance, ou Le Blanc, ou un autre secrétaire d’État, n’étoient-ils pas aussi bons et bien plus naturels que non pas M. le Duc, pour remettre à Law ses passeports ? En un mot, ce sont des ténèbres que j’avoue que je n’ai pu percer. Du reste, M. le Duc étoit venu bien préparé pour soutenir la compagnie en laquelle lui et les siens se trouvoient si grandement intéressés. Aussi faut-il convenir qu’il plaida bien cette cause, et qu’il n’obtint rien de plausible de tout ce qu’il se pouvoit dire en sa faveur. Le rare est qu’après une scène si forte, si poussée, si scandaleuse, si publique, il n’y parut pas entre M. le Duc et M. le duc d’Orléans. Le régent sentoit le poids énorme dont sa gestion étoit chargée par la confiance aveugle jusqu’au bout, et la protection si déclarée qu’il avoit donnée à Law envers et contre tous. Il étoit foible, je le dis à regret ; il craignoit M. le Duc, ses fougues, sa férocité, son peu de mesure, quoique d’ailleurs il connût bien le peu qu’il était. Cette débonnaireté, que je lui ai si souvent reprochée, lui fit avaler ce calice comme du lait, et le porta à vivre à l’ordinaire avec M. le Duc pour ne le point aigrir davantage, et à ne l’aliéner pas de lui. À l’égard de M. le Duc, ce n’étoit pas à lui à se fâcher, il avoit poussé M. le duc d’Orléans à bout sans le plus léger ménagement, toujours l’attaquant, toujours le faisant battre en retraite, jusqu’à lui avoir arraché l’aveu le plus étonnant et le plus dangereux. Il étoit donc content de l’issue de ce combat d’homme à homme, mais il n’avoit garde de l’être des résolutions prises au conseil, quoi qu’il eût pu dire en faveur de la compagnie, et par là il sentit le besoin qu’il auroit de M. le duc d’Orléans pour soi et pour les siens, pour n’être pas enveloppés dans la fortune commune des porteurs de