Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/147

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ne se possédoit pas, et ne fut pas trois mois sans recevoir cette calotte si ardemment désirée et si monstrueusement procurée.

La mort de Clément XI termina les affaires d’Albéroni à Rome, où on travailloit à le priver juridiquement du chapeau. Il fut mandé au conclave errant encore et caché en Italie. La voix au conclave, qui fait la base de la grandeur et de l’importance des cardinaux, leur est trop chère pour souffrir qu’aucun en soit privé pour quelque cause que ce puisse être. Albéroni étoit l’opprobre du sacré collège qui le sentoit vivement ; il étoit actuellement in reatu [1] ', puisqu’à Rome son procès s’instruisoit juridiquement pour le dépouiller de la pourpre. Le roi et la reine d’Espagne poursuivoient publiquement et ardemment cette affaire. Le pape, indignement outragé par Albéroni dès qu’il eut son chapeau, et qu’il n’eut plus besoin de lui, le poussoit sous main de toutes ses forces ; il n’étoit protégé d’aucune couronne ni d’aucune puissance, qu’il avoit toutes insultées ; mais il avoit le chapeau, et ses collègues, devant qui son procès s’instruisoit, quelque indignés qu’ils fussent de sa promotion contre laquelle devant et depuis ils avoient tous si fortement et si unanimement crié, excepté les Espagnols et les François par la crainte de leurs maîtres, mais qui sous main l’avoient éloignée tant qu’ils avoient pu, ne s’accommodoient point du dépouillement d’un cardinal de la pourpre. Ils en regardoient l’exemple comme très funeste qui les rendoit trop dépendants de leurs rois et des papes.

L’indépendance est leur point capital ; ils y étoient peu à peu parvenus ; ils n’avoient garde de contribuer à en déchoir pour quelque considération que ce pût être. Qu’un cardinal prince ou fort grand seigneur remette le chapeau pour se marier quand l’état de sa maison l’exige, à la bonne heure ; mais de voir un cardinal se priver du chapeau par

  1. En accusation.