Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/149

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sacré collège et le pape qui l’y alloit mettre, qu’avoit fait Albéroni ; avoit intérêt que le rideau fût tiré sur ce confrère, tellement qu’après une courte absence, Albéroni loua dans Rome un magnifique palais, et y revint pour toujours avec une suite, une dépense et une hauteur que lui fournissoient les dépouilles de l’Espagne. Il s’y trouva donc vis-à-vis du cardinal del Giudice et tous deux vis-à-vis de la princesse des Ursins, triangle rare qui fit souvent à Rome un spectacle singulier. Dans les suites Albéroni qui les vit mourir tous deux parvint à être légat de Ferrare, et s’y faire continuer longtemps, toutefois peu compté et peu considéré à Rome, où il est encore vivant et sain de tête et de corps à quatre-vingt-six ans [1].

Quant au nouveau pape, il avoit soixante-six ans et quatorze de cardinalat, avoit été nonce en Suisse, puis en Portugal, pour lequel il avoit conservé un grand attachement. Il étoit d’une des quatre premières maisons romaines, allant de pair sans difficulté avec les Ursins, les Colonne et les Savelli ; ces derniers sont éteints et ayant donné beaucoup de papes et de cardinaux. Sa naissance avoit un peu suppléé à ses talents. C’étoit un homme doux, bon, timide, qui aimoit fort sa maison, et qui parut peu sur le siège apostolique. Tencin dès lors pensoit au cardinalat. Trop petit compagnon pour oser montrer y prétendre, il se renferma dans les basses ruses qui l’avoient porté jusqu’où il se trouvoit. Il agit donc sous terre ; il fut amusé ; il s’en aperçut enfin et menaça le pape, s’il ne le contentoit, de rendre public l’écrit qu’il avoit de sa main, qui l’avoit fait pape, par lequel il s’engageoit, s’il le devenoit, de faire incontinent après Dubois cardinal. Le pape se trouva donc dans de doubles horreurs, ou de faire Tencin cardinal motu proprio sans qu’aucune puissance s’y intéressât, sur l’autorité de laquelle

  1. Albéroni est mort en 1752 à quatre-vingt-sept ans. Saint-Simon dit que ce cardinal avait quatre-vingt-six ans, au moment où il écrit ; c’est donc en 1751 qu’il a composé cette partie de ses mémoires.