Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/15

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mais à la moitié du dîner, où j’avois toujours bien du monde, je vis entrer le duc de La Force et Canillac. Ce dernier me surprit fort. Je n’avois jamais eu de commerce avec lui que de rencontres rares, je l’avois vu chez moi et chez lui quatre ou cinq fois dans la première quinzaine de la régence ; oncques depuis nous ne nous étions vus que d’un bout de table à l’autre, au conseil de régence, depuis qu’il y fut entré, et sans nous approcher devant ni après, ni nous rencontrer ailleurs. On a vu ici qu’il s’étoit livré à l’abbé Dubois, au duc de Noailles, à Stairs, et qu’il l’étoit totalement au parlement, et on y a vu aussi son caractère. Leur arrivée n’allongea pas le repas. Ils mangèrent en gens pressés de finir, et à peine le café pris ils me prièrent de passer dans mon cabinet. Ils étoient venus ferrés à glace, et je ne pus douter que M. le duc d’Orléans ne leur eût rendu tout le détail de la si longue discussion que j’avois eue avec lui sur les sceaux, l’après-dînée de la veille. M. de La Force ouvrit non pas la conférence, mais le plaidoyer qui ne fut pas court. Canillac ensuite, qui se plaisoit à parler et qui parloit bien, mais sans cesse, se donna toute liberté. Leur grand argument fut : l’absolue nécessité de se défaire entièrement du garde des sceaux, dont l’infidélité causée par sa jalousie de Law, avoit produit ce fatal arrêt du 22 mai, uniquement pour perdre Law, sans se soucier du péril où il jetoit M. le duc d’Orléans, en mettant au net ce qui ne pouvoit être tenu trop caché, et qui de plus étoit en partie le fruit de toutes les entraves qu’il avoit jetées sans cesse à toute l’administration de Law et a ses opérations ; les menées du parlement plus envenimées que jamais contre M. le duc d’Orléans, et plus organisées, devenu plus habile en ce genre et plus précautionné, en même temps plus furieux par la leçon que lui avoit donné le lit de justice des Tuileries, qu’il ne pardonneroit jamais ; l’impossibilité, par conséquent, de choisir qui que ce put être de cette compagnie pour les sceaux, exclusion qui regardoit également le chancelier par son attachement