Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/162

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excella [1], et où il sauva bien des gens de qualité et des enfants de famille. Il étoit obligeant, poli, respectueux, sous une écorce quelquefois brusque et dure, et une figure de Rhadamante, mais dont les yeux pétilloient d’esprit et réparoient tout le reste. Il ne put soutenir sa chute, et ne sortit plus de sa chambre ou du parloir. On a suffisamment parlé de lui ailleurs. Il commença sur les fins à signer de Voyer au lieu de Le Voyer, qui est son nom. Ses enfants, qui ont depuis fait une si grande fortune et qui veulent pousser leurs enfants dans une d’un autre genre, imitent soigneusement la dernière façon de signer de leur père et de faire appeler leurs enfants.

  1. Fontenelle a retracé avec l’ingénieuse et élégante précision de son style les services que rendit d’Argenson dans la charge de lieutenant de police : « Les citoyens d’une ville bien policée jouissent de l’ordre qui y est établi, sans songer combien il en coûte de peine à ceux qui l’établissent ou le conservent, à peu près comme tous les hommes jouissent de la régularité des mouvements célestes, sans en avoir aucune connaissance ; et même plus l’ordre d’une police ressemble par son uniformité à celui des corps célestes, plus il est insensible ; et par conséquent il est toujours d’autant plus ignoré qu’il est plus parfait. Mais qui voudrait le connaître, l’approfondir, en serait effrayé : entretenir perpétuellement dans une ville telle que Paris une consommation immense, dont une infinité d’accidents peuvent toujours tarir quelques sources ; réprimer la tyrannie des marchands à l’égard du public, et en même temps animer leur commerce ; empêcher les usurpations naturelles des uns sur les autres, souvent difficiles à démêler ; reconnaître dans une foule infinie ceux qui peuvent aisément y cacher une industrie pernicieuse ; en purger la société, ou ne les tolérer qu’autant qu’ils peuvent être utiles par des emplois dont d’autres qu’eux ne se chargeraient pas ou ne s’acquitteraient pas si bien ; tenir les abus nécessaires dans les bornes précises de la nécessité, qu’ils sont toujours prêts à franchir ; les renfermer dans l’obscurité à laquelle ils doivent être condamnés, et ne les en tirer pas même par des châtiments trop éclatants ; ignorer ce qu’il vaut mieux ignorer que punir, et ne punir que rarement et utilement ; pénétrer par des souterrains dans l’intérieur des familles et leur garder les secrets qu’elles n’ont pas confiés, tant qu’il n’est pas nécessaire d’en faire usage ; être présent partout sans être vu ; enfin mouvoir ou arrêter à son gré une multitude immense et tumultueuse, et être l’âme toujours agissante et presque inconnue de ce grand corps ; voilà quelles sont en général les fonctions du magistrat de police. Il ne semble pas qu’un homme seul y puisse suffire ni par la quantité des choses dont il faut être instruit, ni par celle des vues qu’il faut suivre, ni par l’application qu’il faut apporter, ni par la variété des conduites qu’il faut tenir et des caractères qu’il faut prendre. »