Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/186

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ceux qui avoient les grandes entrées jouissoient de la même privance. Il en usa de même dans la première convalescence, qu’il prolongea le plus qu’il put pour donner la même distinction aux magistrats à quelque heure qu’il en vint, et privativement aux plus grands de la cour et aux ambassadeurs ; il se croyoit tribun du peuple et aspiroit à leur faveur et à leur dangereuse puissance. De là il se tourna à une autre affectation, qui avoit le même but contre M. le duc d’Orléans. Il multiplia les Te Deum, qu’il incita les divers états des petits officiers du roi de faire chanter en différents jours et en différentes églises, assista à tous, y mena tout ce qu’il put, et courut encore plus de six semaines les Te Deum qui se chantèrent dans toutes les églises de Paris. Il ne parloit d’autre chose, et sur sa joie véritable de la guérison, il en entoit une fausse qui puait le parti et le dessein à ne s’y pouvoir méprendre. Il fit faire force fêtes à Lyon et à son fils l’archevêque, dont il eut soin de faire répandre les relations.

Le roi alla en cérémonie remercier Dieu à Notre-Dame et à Sainte-Geneviève. Ces momeries, ainsi allongées, gagnèrent la fin du mois d’août et la Saint-Louis. Il y a tous les ans ce jour-là un concert le soir dans le jardin. Le maréchal de Villeroy prit soin que ce concert devint une manière de fête, à laquelle il fit ajouter un feu d’artifice. Il n’en faut pas tant pour attirer la foule ; elle fut telle, qu’une épingle ne seroit pas tombée à terre dans tout le parterre. Lés fenêtres des Tuileries étoient parées et remplies, et tous les toits du Carrousel pleins de tout ce qui put y tenir, ainsi que la place. Le maréchal de Villeroy se baignoit dans cette affluence, qui importunoit le roi qui se cachoit dans des coins à tout moment ; le maréchal l’en tiroit par le bras et le menoit tantôt aux fenêtres d’où il voyoit la cour et la place du Carrousel toute pleine, et tous les toits jonchés de monde ; tantôt à celles qui donnoient sur le jardin, et sur cette innombrable foule qui y attendoit la fête. Tout cela crioit vive