Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

maison de campagne, ne respirant que feu et sang contre les opposants à la constitution, et sa vengeance particulière de ceux qui osaient encore lui résister, lorsque tout à coup cet écoulement s’arrêta, et fit une révolution à la tête, où il sentit des douleurs à crier les hauts cris. À peine ce tourment eut-il duré quatorze ou quinze heures, malgré les saignées et tout ce qu’on put employer, qu’il perdit la connoissance et la parole, et mourut dix ou douze heures après, sans avoir eu un moment à penser à sa conscience. Quelle fin de vie dans un prêtre et dans un évêque, toute d’ambition et persécuteur effréné par ambition et par haine ! Il passionna les honneurs, il goûta seulement des plus grands comme pour s’y attacher davantage. Ce qu’ils avoient pour lui de plus flatteur lui fut montré et porté, pour ainsi dire, jusqu’au bord de ses lèvres. La coupe lui en fut subitement retirée sans qu’il y pût toucher au moment d’y mettre la bouche et d’en boire à longs traits. Livré à des douleurs cruelles, puis à un état de mort, et paroître devant Dieu tout vivant de la vie du monde, sans avoir eu un moment à penser qu’il l’alloit quitter et paroître devant son juge voilà le monde, son tourbillon, ses faveurs, sa tromperie et sa fin !

Fréjus tout appliqué au futur, mais au futur de ce monde, ne songeoit qu’à s’attacher le roi et y faisoit les plus grands progrès et les plus visibles. Quoique au fond très contraire au régent, il se conduisoit à son égard avec une grande circonspection ; et en cultivant le parti opposé, il le faisoit avec une grande mesure. Le maréchal de Villeroy en étoit le coryphée. Il étoit l’objet de la plus jalouse attention de Fréjus ; il ne vouloit pas sa grandeur, qu’il regardoit comme ruineuse à ses projets de s’emparer du roi avec une autorité sans partage ; il sentoit toute la disproportion et le poids du maréchal d’avec lui, et personnellement empêtré de tout ce qu’il lui devoit d’attachement et de reconnoissance, parce que personne n’en ignoroit les raisons. Il n’étoit pas temps