Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bouclier assuré de l’affection du roi pour lui en cas qu’il prit envie au régent de le chasser.

Je voyois clairement tout ce manège de cour, et j’en instruisois les négligences de M. le duc d’Orléans. Il lui importoit de ménager le seul homme pour qui l’amitié et la confiance du roi se déclaroit de plus en plus, et qui intérieurement étoit plus que détaché du maréchal de Villeroy. Je le savois par les choses qu’il m’en disoit souvent, et je n’en pouvois douter par mille traits journaliers de bagatelles intérieures, qui nous revenoient par les valets du dedans, qui étoient à M. le duc d’Orléans, parce qu’il les traitoit fort bien, et qu’outre les miches [1] qu’il leur élargissoit volontiers, ils sentoient, avec toute la disproportion des personnes, toute la différence de la hauteur du maréchal de Villeroy avec eux, et de la douceur, pour ne dire pas la politesse et la facilité qu’ils éprouvoient dans l’accès de M. le duc d’Orléans. Je conseillai à ce prince de donner à Fréjus l’archevêché de Reims, pour faire une chose agréable au roi, pour s’attacher Fréjus par un présent si disproportionné de lui, au moins pour lui montrer amitié et bonne volonté et le tenir par là hors de mesure de lui être contraire, sans que cette grandeur lui pût donner rien de réel qui ajoutât rien à l’amitié et à la confiance du roi, qui, avec ou sans Reims, étoit la seule chose qui pût le rendre considérable présentement et plus encore à mesure que le roi avanceroit en âge, et par son âge deviendroit le maître. Le régent me crut, alla trouver le roi, et le lui proposa pour que lui-même eût le plaisir de le donner et de l’apprendre à M. de Fréjus. Il l’envoya quérir sur-le-champ dans son cabinet, où en présence de M. le duc d’Orléans et du maréchal de Villeroy, il le lui dit. Fréjus témoigna sa gratitude, sa disproportion d’un siège si relevé, l’incompatibilité des fonctions épiscopales avec les siennes auprès du roi, et refusa avec fermeté, appuyant de

  1. Les grâces.