Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/204

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hors de cause contribueroit de tout son pouvoir à l’exclure pour son intérêt particulier. Plein donc de tant de motifs généraux et particuliers, j’attaquai Fréjus de toutes mes forces pendant plusieurs jours, et voyant bien à quoi il tenoit le plus, qui étoit de n’avoir point de diocèse où la bienséance l’obligeât d’aller et de faire de hasardeuses absences, et qui pis encore pouvoit devenir une occasion toute naturelle de l’y envoyer et de l’y retenir, je lui proposai d’accepter Reims, de le garder un an ou dix-huit mois, puis de le remettre, dont il auroit mille bonnes raisons à alléguer l’avoir pris par n’avoir pu résister au roi et au régent, le rendre après avoir, par l’acceptation, marqué son respect, sa déférence, son obéissance ; par ne pouvoir se résoudre, dans un âge avancé, de se charger du gouvernement d’un grand diocèse, moins encore de le faire gouverner par autrui ; que par cet expédient si simple et si plausible, il évitoit tout ce qui l’empêchoit d’accepter, et conservoit un rang qui le mettoit à la tête des pairs, et qui, le chapeau lui venant, l’affranchissoit de toutes sortes d’embarras et de difficultés.

J’eus beau étaler tout le bien-dire que je pus, tâcher à l’ébranler, par la crainte que le refus si opiniâtre d’une place si unique ne persuadât au régent qu’il ne vouloit rien tenir de lui, et les conséquences et les suites qui en résultoient, tout fut inutile. Il se tint ferme au refus entier, et me dit dévotement que sa conscience ne lui pouvoit permettre d’accepter Reims, dans le dessein de le rendre, de n’y aller jamais, et de se revêtir seulement du rang de ce grand siège, qu’il n’auroit accepté que dans cette vue d’orgueil et de vanité, et non d’y servir l’Église dans la conduite effective et sérieuse de cette portion du troupeau, qui étoit la seule voie canonique dans laquelle on dût marcher lorsqu’on acceptoit un évêché. L’hypocrite me paya de cette monnaie ; c’est qu’il vouloit demeurer libre à l’égard de M. le duc d’Orléans, et qu’à l’égard de la préséance il méprisoit