Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/208

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me dit qu’il falloit gagner Fréjus, qui y étoit fort opposé. Je tâchai de lui faire honte de prendre une telle dépendance, et lui demandai s’il vouloit morceler sa régence et en abandonner une portion aussi considérable, aussi agréable, aussi importante que l’est la nomination des bénéfices. Peu à peu, je vins encore à bout de cette difficulté à toute reste, mais en me recommandant toujours de tacher de gagner Fréjus. Ce prélat, qui devoit par ce qui a été dit être le grand arc-boutant des Castries en cette occasion, se montra si contraire que ni les Castries, ni moi qui lui en parlai souvent et fortement, n’en pûmes jamais tirer une seule bonne parole, tellement que je me résolus à l’emporter de force, et malgré lui, de M. le duc d’Orléans ; je mis l’affaire au point où je la pouvois désirer.

Mais mon départ s’approchoit, et les Castries, que j’avertissois à mesure que j’avançois, me dirent que sans mon départ ils tiendroient la chose faite, mais que ce départ la feroit manquer. Elle se fût faite en effet au point où je la laissai, si j’avois pu demeurer davantage, et avoir le loisir d’achever de forcer M. le duc d’Orléans. Mais il fallut partir et laisser le champ libre à Fréjus, qui dans sa rage de constitution, écartoit Albi, ami du cardinal de Noailles, et vouloit s’attacher le cardinal de Rohan, pour le chapeau, auquel il pensoit déjà beaucoup, et qui étoit à Rome, et au cardinal Dubois, à qui les Castries, droits et fort honnêtes gens, n’avoient point fait leur cour, lequel, pour entretenir les Rohan dans l’erreur de faire premier ministre le cardinal de Rohan à son retour de Rome, vouloit, de concert avec Fréjus, mettre l’abbé de Guéméné à Reims, comme ils firent bientôt après que je fus parti.

Poursuivons le peu qui reste à dire de cette année pour ne point interrompre ce qui regarde mon ambassade. Il a été quelquefois mention ici du duc de Brancas, et de la façon dont il étoit avec M. le duc d’Orléans, qui s’amusoit fort de ses saillies, et qui l’avoit presque toujours à ses soupers.