Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donna sujet de s’applaudir beaucoup d’avoir pris un conseil si sage. Il crut même avec raison devoir mettre cet intervalle avant de déclarer le second, pour laisser raccoiser [1] les humeurs, et refroidir les esprits, mais il falloit enfin finir cette seconde affaire ; ainsi dix ou douze jours après celle qui vient d’être rapportée, il alla chez le roi, après l’avoir dite à M. le Duc, et à M. de Fréjus. Il les trouva dans le cabinet du roi, il en fit sortir tous les autres, et entrer le cardinal Dubois, et là il dit au roi l’honneur que le roi d’Espagne lui vouloit faire, et lui demanda la permission de l’accepter. Cela se passa tout uniment, sans la moindre difficulté, mais le maréchal de Villeroy ne put s’empêcher, dans le compliment qu’il fit sur-le-champ à M, le duc d’Orléans, de témoigner son étonnement, qui sentit fort le dépit. Le lendemain M. le duc d’Orléans en fit la déclaration au conseil de régence, le roi présent, qui y assistoit presque toujours, où les avis et les courts compliments de chacun au régent ne furent qu’une même chose. Les maréchaux de Villeroy, Villars et d’Huxelles y parurent le visage enflammé, car le mariage de la fille de M. le duc d’Orléans avec le prince des Asturies fut public dès qu’il eut été annoncé au roi, et ne purent cacher leur dépit, pour ne pas dire leur désespoir. Le maréchal de Tallard et quelques autres n’en étoient pas plus contents ; mais à travers un embarras qu’ils ne purent cacher, ils se contraignirent davantage. Le lendemain le roi alla au Palais-Royal, puis à Saint-Cloud, faire compliment sur ce grand et incroyable mariage à M. [le duc] et à Mme la duchesse d’Orléans, à Mlle de Montpensier et à Madame, où toute la cour, tous les ministres étrangers et tout ce qu’il y eut de considérable à Paris accourut en foule.

Il faut avouer ici qu’il n’y eut rien en soi de si surprenant que le mariage du prince des Asturies avec une fille de M. le

  1. Vieux mot qui signifie calmer, apaiser ; il vient de coi (calme, tranquille).