Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/253

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me prêter à la violence à l’égard d’un ami sûr, sage, vertueux, et qui avoit servi avec tant de réputation et si bien mérité de l’État.

Je répondis donc à ces messieurs que je trouvois la commission fort étrange, et beaucoup plus son assaisonnement ; que Torcy n’étoit pas un homme à qui on pût ôter un emploi de cette confiance, et qu’il exerçoit depuis la mort de son beau-père si dignement, à moins qu’il ne le voulût bien lui-même ; que tout ce que je pouvois faire étoit de le savoir de lui, et, au cas qu’il y voulût entendre, à quelles conditions ; que pour l’y exhorter, encore moins aller au delà avec lui, je priois le cardinal de n’y pas compter, encore que je n’ignorasse pas ce qu’il pouvoit à l’égard de mon ambassade, et que quoi que ce pût être ne me feroit passer d’une seule ligne ce que je leur répondois. Ils eurent beau haranguer, ils ne remportèrent que cette très ferme résolution.

Castries et son frère l’archevêque étoient de tous les temps intimes de Torcy et fort aussi de mes amis. Je les envoyai prier de venir chez moi dans ce tumulte de départ où je me trouvois. Ils vinrent sur-le-champ. Je leur racontai ce qui venoit de m’arriver. Ils furent plus indignés de la façon et du moment que de la chose, dont Torcy comptoit bien que le cardinal le dépouilleroit tôt ou tard pour s’en revêtir. Ils louèrent extrêmement ma réponse, m’exhortèrent à l’exécuter promptement pour hâter le retour de Torcy, qui étoit même ou parti ou sur le point de partir de Sablé, et qui feroit lui-même son marché avec M. le duc d’Orléans bien plus avantageusement qu’absent. Je leur fis lire la lettre que j’écrivis à Torcy en les attendant, qu’ils approuvèrent beaucoup, et par leurs avis réitérés je la fis partir sur-le-champ.

Torcy avoit naturellement avancé son retour. Mon courrier le trouva avec sa femme dans le pare de Versailles, ayant passé par la route de Chartres. Il lut ma lettre, chargea le courrier de mille compliments pour moi, sa femme aussi, et de me dire qu’il me verroit le lendemain. J’avertis les Castries