Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/257

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ici en peu de paroles en produisit beaucoup parce qu’il fut d’abord énigmatique et fort réservé, et que l’ouverture ne vint qu’à peine sur tout ce que je lui dis pour le déboutonner. Hors ce qui, de ma part, me sembla nécessaire pour y parvenir, et sans descendre en aucun particulier, on peut juger que j’eus les oreilles plus ouvertes que la bouche. Seulement je l’exhortai à s’ouvrir franchement et nominalement avec M. le duc d’Orléans, et je tâchai de lui persuader qu’il ne pouvoit rendre un plus grand service, non seulement à ce prince, et dont il lui sût plus de gré, mais à Leurs Majestés Catholiques, à qui désormais ses intérêts étoient unis, et par amitié et pour la grandeur des deux couronnes. Il m’assura qu’il s’expliqueroit avec M. le duc d’Orléans comme il faisoit avec moi ; mais quoique j’insistasse pour qu’il lui nommât et que je lui répondois du secret, je n’en pus tirer parole. Aussi ne m’en donna-t-il pas de négative ; mais je sentis bien à ses discours là-dessus que la politesse pour moi y avoit plus de part que la volonté d’une entière confidence sur un article si important mais si délicat. Nous nous séparâmes de la sorte, avec force compliments, accolades et protestations. Je ne pus, quoi que je pusse faire, l’empêcher de descendre ; mais, à mon tour, il ne put m’obliger de monter dans ma berline, qu’il ne se fût retiré. Il étoit assez peu accompagné.

Ma berline cassa en arrivant à Couhé, terre appartenant à M. de Vérac ; il fallut y mettre un autre essieu. J’y fus donc plus de trois heures, que j’employai à écrire à M. le duc d’Orléans et au cardinal Dubois le récit de cette conférence et aller voir le château et le parc un moment. Ces retardements me firent arriver sur le minuit à Ruffec, où j’étois attendu de bonne heure par force noblesse de la terre et du pays, à qui je donnai à dîner et à souper les deux jours que j’y séjournai. J’eus un vrai plaisir d’y embrasser Puy-Robert qui étoit lieutenant-colonel du régiment Royal-Roussillon du temps que j’y avois été capitaine. De Ruffec, j’allai en deux