Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sans avoir pu recueillir le fruit qui, uniquement, m’avoit fait désirer cette ambassade.

Tout à la fin de la matinée de ce même mercredi 26, je fus introduit seul, car Maulevrier s’excusa d’y venir avec moi sur les dépêches qu’il avoit à faire, je fus, dis-je, à l’audience que j’avois moi-même demandée au roi d’Espagne, la veille, pendant la lecture du contrat de mariage, et qu’il m’avoit accordée. Je vis, dès en approchant de Leurs Majestés Catholiques, l’importance du service que [m’avoit rendu] le marquis de Grimaldo par la lettre qu’il m’écrivit le soir tout tard de la veille, dont j’ai parlé ci-dessus, et de ma réponse ; car la reine, dès avant que je fusse proche du roi et d’elle, s’avança à moi, et me dit d’un air fort libre : « Ho çà, monsieur, point de façons ; vous avez envie de dire au roi quelque chose en particulier, je m’en vais à la fenêtre et vous laisser faire. » Je lui répondis la même chose que ce que j’avois mandé en réponse à Grimaldo, à quoi j’ajoutai qu’il étoit si vrai que je n’avois rien à dire au roi en particulier, que si j’avois eu le déplaisir de ne la pas trouver auprès de lui, j’aurois été obligé de lui demander à elle une audience pour lui faire les mêmes remercîments qu’au roi de tout ce qui s’étoit passé la veille. « Non, non, reprit-elle avec vivacité, je vous laisse avec le roi, et je me rapprocherai quand vous aurez fait. » Et en disant cela, elle gagna la fenêtre comme en deux sauts légers, car il y avoit assez loin par la grandeur de ce salon des Miroirs où j’étois seul avec Leurs Majestés Catholiques, tellement que je me mis à la suivre, lui protestant que je n’ouvrirois pas la bouche devant le roi qu’elle ne fût retournée près de lui, qui, pendant tout cela, demeura immobile ; enfin la reine se laissa vaincre et revint près du roi où je la suivis. Elle auroit su également par le roi ce que je lui aurois dit sans elle, et ne me l’auroit jamais pardonné.

Je commençai alors par les remercîments de tout ce qui s’étoit passé la veille, en attendant ceux dont je serois chargé