Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/343

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cour, mais en général aux Espagnols et jusqu’aux peuples, et j’ose dire que j’eus le bonheur d’y réussir par l’application continuelle que j’eus à ne rien oublier pour ce dessein, en évitant en même temps jusqu’à la plus légère affectation, mais louant avec soin tout ce qui pouvoit l’être, toutefois en mesure des différents degrés, m’accommodant à leurs manières avec un air d’aisance, n’en blâmant aucune, admirant avec satisfaction les belles choses en tout genre qui s’y voient, évitant soigneusement toute préférence et toute légèreté française, ajustant avec une attention exacte, mais qui ne paraissoit pas, la dignité du caractère avec tous les divers genres de politesse que je pouvois rendre au rang, à la considération, à l’âge, au mérite, à la réputation, aux emplois présents et passés, à la naissance de toutes les personnes que je voyois, politesse à tous, mais politesse mesurée à ces différences sans être empesée ni embarrassée, qui, pour ainsi dire, distribuée sur cette mesure avec connoissance et discernement, oblige infiniment, tandis qu’une politesse générale et sans choix dégoûte toutes les personnes qu’elle croit gagner et qu’elle ne se concilie point, parce qu’elle les rend égales.

Je me fis, dès le jour que j’arrivai, une affaire principale d’acquérir, à travers toutes mes occupations, cette connoissance de ces différentes choses dans les personnes principales que j’eus à fréquenter, puis des unes aux autres de parvenir à celle de tout ce qui se pouvoit présenter sous mes yeux. Ce fut en cela que Sartine, les ducs de Liria et de Veragua, me furent tout d’abord d’une utilité extrême. Par eux, je fis d’autres connoissances, je m’informai à plusieurs, je combinai et me mis ainsi avec un peu de temps en état de discerner par moi-même sur les lumières qu’on, m’avoit données. Quand je devins un peu plus libre avec tous ces seigneurs, ce qui arriva bientôt par les prévenances, les politesses, et leurs retours que j’en reçus, je leur semai des cajoleries que me fournissoient les connoissances de leurs maisons et de ce qui