Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/99

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à leur cacher le jour de cette manifestation, pour éviter d’être importuné d’eux pour différer ce qui ne pouvoit plus l’être, et pour, en les surprenant, leur ôter le temps de se préparer à former des difficultés et des réponses aux opérations que La Houssaye avoit à proposer à leurs dépens. C’est aussi ce qui mit M. le Duc en fureur, et qui causa cette scène étrange entre lui et M. le duc d’Orléans, qui scandalisa et qui effraya tous ceux qui dans ce conseil en furent témoins ; tous deux y firent un mauvais personnage.

M. le Duc débuta par une vaine parade de la remise de ses actions, qu’il ne pouvoit plus garder, parce qu’elles étoient sans origine, et il ne fit qu’en manifester l’énorme quantité. Il crut par là imposer et se mettre en liberté de protéger la compagnie de toutes ses forces, parce qu’il y avoit le plus gros intérêt personnellement, ainsi que Mme la Duchesse sa mère. Personne ne l’ignoroit, aussi n’imposa-t-il à personne. Il haïssait et méprisoit le prince de Conti au dernier point. Il est vrai qu’en cela il étoit du sentiment unanime. Aussi ne put-il pas s’empêcher de relever l’offre de la remise du duché de Mercœur, volé à Lassai par un retroit [1] et un procès indigne, offre qu’il étoit bien sûr qui ne seroit pas acceptée. Ce prince avoit raison d’avancer que tout le monde savoit bien qu’il n’avoit point d’actions. Mais un peu de jugement l’auroit retenu de faire une protestation qui faisoit souvenir tout le monde qu’il avoit porté le premier et le plus mortel coup à la banque, en se faisant tout à coup rembourser en argent de tout son papier, dont Law ne s’est pu relever depuis. On vit arriver publiquement à l’hôtel de Conti quatre surtouts [2] chargés d’argent, et le prince de Conti pendu à ses fenêtres pour les voir entrer chez lui.

  1. Action en justice, par laquelle on retirait un héritage qui avait été vendu.
  2. Charrettes qui servaient à porter les bagages.