Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et un goût si relevé et si vivifiant qu’on en est surpris, et qu’il est impossible de manger rien de si exquis. Le souper fut long, abondant, plein de joie et de politesse, bien et magnifiquement servi. En sortant de table nous passâmes tous dans les appartements du roi, où tout étoit déjà prêt pour le bal.

Toute la cour étoit en partie arrivée, le reste suivit incontinent. L’attente après fut courte. Leurs Majestés et Leurs Altesses parurent bientôt, et la reine ouvrit le bal avec le prince des Asturies. Ce bal fut disposé comme celui de Madrid, que j’ai décrit. Ainsi je me dispenserai de la répétition. Le nonce, Maulevrier et moi le vîmes de l’embrasure d’une fenêtre, de dessus nos tabourets. Mais je n’eus pas grand repos sur le mien, tant on me fit danser de menuets et de contredanses. J’avois un habit d’une extrême pesanteur, les mouvements continuels de cette journée et de la veille m’avoient extrêmement fatigué ; mais c’étoit la fête du mariage, je venois d’obtenir au delà de ce que j’avois pu y désirer ; par là, c’étoit aussi ma fête particulière, j’aurois eu mauvaise grâce de rien refuser. Ce bal fut fort gai sans déroger en rien à la majesté et à la dignité. Il dura jusque vers deux heures après minuit. Le nonce seul assis, avec Maulevrier et moi, car nul autre ambassadeur ne parut à Lerma ; le duc d’Abrantès, évêque de Cuença debout, ainsi qu’un autre évêque voisin ; deux évêques in partibus suffragants de Tolède ; et le grand inquisiteur, qui avoient assisté sans fonctions au mariage, furent au bal tout du long en rochet et camail, leur bonnet à la main. L’évêque diocésain de Burgos, exilé pour son attachement fort marqué à l’archiduc et à la maison d’Autriche, ne put s’y montrer, et le cardinal Borgia n’y put être par ses prétentions. On sut au bal qu’il y auroit coucher public. Il ne m’en parut que de la surprise, mais nul mécontentement. Personne ne s’en alla après le bal : on attendit pour voir ce coucher.

Au sortir du bal, tout le monde suivit le roi et la reine