Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/137

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qu’on appelle en Espagne sommeliers de courtine. Je crois que ce nom leur vient de ce que, jusqu’à Philippe V, tout l’enfoncement où on place le prie-Dieu du roi, lorsqu’il tient chapelle, et dont j’ai décrit la séance ailleurs, étoit tout enfermé de rideaux, qu’on appelle en espagnol cortinas, et que la fonction des aumôniers du roi étoit de relever un peu le rideau, lorsque cela étoit nécessaire, pour recevoir l’encens, baiser l’Évangile, etc.

J’allai avec nos François d’élite dîner chez le duc del Arco, en grande et illustre compagnie, où nous étions invités, et où le repas fut magnifique comme la veille. Je ne m’y oubliai pas encore à l’oille ni aux jambons de vipères. Les Espagnols étoient toujours ravis de voir un François s’accommoder du safran, surtout d’en trouver toujours chez moi en plusieurs mets, et de m’en voir manger avec plaisir. Pour dans le pain et dans la salière, où ils en mettent volontiers, je ne pus pousser jusque-là mon goût ni ma complaisance. Le dîner fut long et gai.

La surprise de l’absence de Maulevrier fit à demi bas le tour de la table, et fut d’autant plus blâmée qu’il n’étoit pas aimé. Je fus sobre sur cet article, mais on n’en dit pas moins. Je ne lui avois point parlé de mes réflexions sur le coucher public. Je gardois avec lui l’extérieur le plus exact, mais j’avois lieu de me dispenser des consultations et des confidences. Je ne lui dis que vers le milieu du bal que toute la cour seroit admise à voir les deux époux au lit, mais crûment, comme une nouvelle, sans le plus léger détail. Il m’en parut étonné à l’excès, puis tout renfrogné me demanda comment une chose si étrange et si nouvelle en Espagne avoit pu être résolue. Je lui répondis simplement que Leurs Majestés l’avoient jugé à propos ainsi, et tout de suite je me mis à parler sur le bal et sur la danse. Du reste du bal et du soir, il ne me parla presque plus, et toujours d’un air chagrin. Ce n’en fut qu’une dose ajoutée de plus. Ma grandesse et l’éclat des compliments et de l’applaudissement