Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/139

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épaules, et m’exhortoient de tâcher à le faire rentrer en lui-même.

Cette ambition lui tourna tellement la tête, qu’il se mit à hasarder des propos comme s’il étoit ambassadeur de M. le duc d’Orléans, et à le prétendre. En me pressant sur sa grandesse, il me lâcha quelques traits de cette prétention que je ne pus lui passer comme le reste. La grandesse étoit une chimère personnelle, mais l’appuyer de cette prétention d’ambassade portoit sur M. le duc d’Orléans. Je lui remontrai donc que quelque grand prince que fût M. le duc d’Orléans, par sa naissance et par sa régence, il ne laissoit pas d’être sujet du roi, dont la qualité ne comportoit pas d’envoyer en son nom des ambassadeurs, pas même des envoyés ayant le caractère et les honneurs qu’ont les envoyés des souverains ; qu’il n’avoit qu’à voir son instruction et son titre, où je m’assurois qu’il ne trouveroit rien qui pût favoriser cette idée ; que de plus connoissant M. le duc d’Orléans autant qu’il le connoissoit, et le cardinal Dubois aussi, il devoit craindre que cette prétention leur revint, qu’ils trouveroient sûrement extrêmement mauvaise, et qui donneroit lieu à ses ennemis d’en profiter dès à présent dans le public, et dans la suite auprès du roi, en accusant M. le duc d’Orléans de vouloir déjà trancher du souverain, dans l’impatience de le devenir en effet, par des malheurs qu’on ne pouvoit assez craindre ; ce qui donneroit un nouveau cours aux horreurs tant débitées et si souvent renouvelées. Mais les vérités les plus palpables ne trouvent point d’entrée dans un esprit prévenu et que l’ambition aveugle.

La Fare se mit à pester contre la faiblesse de M. le duc d’Orléans, qui ne se soucioit point de sa grandeur, et me voulut persuader que mon attachement pour lui y devoit suppléer en cette occasion. Je me tus, car que répondre à une pareille folie ? et ce silence lui persuada que je ne voulois pas qu’il fût ambassadeur ni grand d’Espagne comme je l’étois. Pour grand, j’en aurois été bien étonné. C’eût été