Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/148

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privance avec lui qu’il eût été tout à fait impossible que la plus légère mauvaise suite de ses plaisirs m’eût échappé, et que néanmoins je pouvois jurer à Leurs Majestés que jamais je ne m’étois aperçu d’aucune ; qu’enfin Mme la duchesse d’Orléans avoit toujours joui de la santé la plus égale et la plus parfaite, rempli chaque jour chez le roi, chez elle, et partout, les devoirs de son rang en public, et qu’aucun de tous ses enfants n’avoit donné lieu par sa santé au plus léger soupçon de cette nature.

Pendant ce discours, je remarquai dans le roi et la reine une attention extraordinaire à me regarder, à m’écouter, à me pénétrer, et sur la fin un air de contentement fort marqué. Tous deux me dirent que je les soulageois beaucoup de leur donner de si fortes assurances, bien persuadés que je ne les voudrois pas tromper. Après un peu de conversation là-dessus le roi me dit qu’à cette inquiétude, que je calmois, en succédoit une autre qui faisoit d’autant plus d’impression sur lui que le mal dont la feue reine son épouse étoit morte avoit commencé par ces sortes de glandes, et s’étoit, longtemps après, déclaré en écrouelles, dont aucun remède n’avoit pu venir à bout. Je lui fis observer que, suivant ce qui nous en avoit été rapporté en France, ces glandes n’avoient paru qu’à la suite d’un goitre qu’elle avoit apporté de son pays, où le voisinage des Alpes les rend si ordinaires, et dont Mme la duchesse de Bourgogne sa sœur, n’étoit pas exempte ; qu’en la princesse il n’y avoit rien de pareil, ni dans pas un de ceux dont elle tiroit sa naissance ; qu’il y avoit donc tout lieu de croire que ces glandes ne s’étoient engorgées que de l’humeur de l’érésipèle si voisine, et de ne pas douter qu’elles ne se guérissent avec la cause qui les avoit fait enfler. La conversation, qui fut extrêmement longue, finit par m’ordonner de nouveau et bien précisément de voir tous les jours la princesse, eux ensuite, et me prier de rendre un compte exact à M. le duc d’Orléans de leur inquiétude et de leurs soins, sans toutefois lui laisser