Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moins sa lettre de créance que celle qu’on lui vouloit bien donner, et les affaires qu’on traitoit avec lui. Et comme le cardinal Dubois me l’avoit extrêmement recommandé, et que j’avois vaincu la répugnance du marquis de Grimaldo, je crus lui devoir offrir de le mener chez ce ministre dès qu’il seroit visible, et au roi d’Espagne, comme un homme de la confiance du cardinal Dubois avec lequel on pouvoit traiter, ce qu’il accepta avec beaucoup de satisfaction et de remerciements.

De ces deux conversations, avec ce que dans l’entre-deux j’avois appris de Pecquet, je compris aisément que la mission apparente de Chavigny, quoique effective, étoit l’affaire de Castro et de Ronciglione ; mais que ce qui l’amenoit véritablement à Madrid étoit le passage actuel de don Carlos en Italie. Ce qui me confirma encore dans cette persuasion fut que j’appris deux jours après qu’on armoit six vaisseaux de guerre et quatre frégates à Barcelone, pour être prêts à la fin de mai, même avec beaucoup d’indiscrétion, c’est-à-dire à grands frais et avec beaucoup de bruit.

Avant que d’expliquer mon sentiment sur la mission de Chavigny, et ce que je crus devoir faire en conséquence, il faut expliquer l’état d’alors de la cour d’Espagne, des cabales de laquelle je n’ai donné qu’un simple crayon jusqu’à présent.

Le P. Daubenton avoit très certainement été le seul confident avec le cardinal Albéroni de l’entreprise méditée sur Naples, et faite ensuite en Sicile. Ils se craignoient et se ménageoient réciproquement ; et le jésuite, qui ne vouloit pas hasarder de perdre sa place une seconde fois, qui seule le pouvoit conduire au chapeau où il tendoit sourdement de toutes ses forces, trembloit intérieurement devant Albéroni, qui le sentoit et en profitoit pour s’en servir comme il lui convenoit, sans s’aimer le moins du monde : c’est ce qu’on a vu répandu en mille endroits de ce que j’ai donné de M. de Torcy sur les affaires étrangères. Tous deux haïssaient Grimaldo,