Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/280

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dont l’espace étoit court, et sur la fin montoient un peu dans la racine de la montagne ; mais, à droite et à gauche, ils s’étendoient déjà fort loin, et ils ont été depuis fort allongés de part et d’autre, remplissant toujours toute la largeur de la vallée.

Ces jardins assez unis pour donner de vastes plains-pieds, et point assez pour manquer des agréments qu’on tire des terrains inégaux. Beaucoup d’allées d’arbres plantés tous grands, comme le feu roi faisoit à Marly, des terrasses peu élevées, revêtues et bordées de gazons, des bosquets sortant encore peu de terre, des bassins, des canaux, des pièces d’eau sans nombre, de toutes les formes, des cascades, des nappes, des effets d’eau de toutes les sortes, de la plus belle eau et de la meilleure à boire, et dans la plus prodigieuse abondance, et des jets d’eau partout en gerbe et de toutes les formes, dont plusieurs, qui étoient seuls, jetoient gros comme la cuisse, le double de la hauteur de ce beau jet d’eau de Saint-Cloud, qui faisoit la jalousie du feu roi, et que tout le monde admire avec raison. Les plus fâcheux inconvénients ont quelquefois leur utilité : cette longue chaîne de montagnes qui bornoit les jardins, qui s’élevoit presque jusqu’aux nues, toute de rochers parsemés d’arbres mal semés, couverte de neige presque toute l’année, dont la cime ne fondoit jamais, dont la hideuse beauté faisoit tout l’aspect du château, et dont un mulet rapportoit de la glace et de la neige en moins de deux heures, aller et venir, cette chaîne de montagnes fourmilloit des plus grosses sources, à toutes hauteurs, et fournissoit sans cesse toutes les eaux des jardins, en telle quantité qu’on vouloit, et pour telle hauteur où on désiroit les faire jaillir. Ces jardins avoient déjà quantité d’orangers, et ils étoient aussi ornés de vases de métal et de tous les plus précieux marbres, et les plus ornés d’excellents bas-reliefs et des plus belles statues de bronze et de divers marbres que le sont les jardins de Versailles et de Marly, avec des ateliers dans les jardins mêmes, où travailloient