Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/291

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instances et ne pas affecter de partir ce même jour, après tout ce qui s’étoit passé. J’assistai donc en voyeux à sa réception, comme j’avois fait à celle de mon fils aîné, et je fus témoin de l’insigne dégoût qu’il y essuya.

Quand ce fut à le revêtir du collier, le marquis de Villena s’approcha de lui pour le lui attacher sur l’épaule droite, mais le prince des Asturies ne branla pas de sa place, en sorte que le marquis de Grimaldo, après avoir attaché le collier par derrière, l’attacha aussi sur l’épaule gauche. Je remarquai la surprise du chapitre et de tous les assistants, mais elle augmenta bien davantage aux révérences. Lorsque Maulevrier la fit au prince des Asturies, ce prince, au lieu de se découvrir, se lever et l’embrasser, demeura assis sans se découvrir ni en faire aucun semblant, et dans cette posture lui présenta sa main à baiser comme avoit fait le roi, et il la baisa. Il me parut à l’instant que ce procédé fut extrêmement senti, qui ne pouvoit être que de concert avec le roi. Maulevrier n’en parut point du tout embarrassé. Il avoit choisi le marquis de Santa-Cruz pour son parrain, qui ne l’aimoit point, et qui se moquoit souvent de lui et en face. Aussi fit-il sa fonction avec un air de dédain qui n’échappa à personne. Il vint pourtant dîner chez lui après la cérémonie, où nous nous trouvâmes douze ou quinze au plus. Avant de se mettre à table, je vis le peu de chevaliers de la Toison qui étoient là se pelotonner, dont quelques-uns ne me cachèrent pas leur scandale, et leur crainte que le mépris public qui venoit d’être fait de Maulevrier par le prince des Asturies, conséquemment par le roi son père, sans l’aveu duquel il n’eût pas osé contrevenir à ce qui s’étoit toujours pratiqué en toutes les réceptions jusqu’alors, ne devînt un exemple qui seroit suivi désormais, et je les laissai dans le mouvement de se concerter pour faire là-dessus leurs représentations au roi. Comme je partis le lendemain 24, je n’ai point su ce qui en est arrivé. J’eus l’honneur de faire encore ma cour à Leurs Majestés Catholiques