Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/296

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bonne chère et force poisson, qui ne laissa pas de trouver encore place.

Un courrier m’arriva à Bayonne, qui avoit été précédé de deux autres qui, pour ne me pas manquer, avoient pris, l’un par Vittoria, l’autre par Pampelune. Tous trois apparemment portoient des duplicata, car je n’ai point vu les dépêches des deux autres. Je fus agréablement surpris de celles qui me trouvèrent à Bayonne. C’étoit la réponse à celle que j’avois faite et à ce que m’avoit apporté Bannière. Le cardinal y avoit vu fort nettement mon sentiment sur la préséance et sur la sortie du conseil de ceux qu’elle blessoit. Il pouvoit bien avoir aussi aperçu ce que je pensois de sa prétendue cabale. Enfin il avoit vu que son éloquence entortillée, ses prétextes recherchés et appuyés, ni la crainte de lui déplaire, ne pouvoient me retenir en Espagne. Peut-être les courriers qui m’étoient allés chercher jusqu’à Madrid me portoient-ils des ordres si positifs qu’ils m’eussent embarrassé, qu’il n’étoit plus temps de me donner en deçà des Pyrénées, et que ce fut pour cela que je reçus à Bayonne ce troisième courrier avec des lettres ajustées pour le lieu, au cas qu’il m’y trouvât, comme il arriva, avec ordre de m’y attendre, et peut-être de rebrousser chemin avec ses dépêches au bout d’un certain temps que j’aurois reçu en Espagne celles qui m’y étoient portées par les deux courriers qui avoient passé et qui ne m’avoient point rencontré, car ces sortes de ruses étoient tout à fait dans le caractère du cardinal Dubois. Quoi qu’il en soit, j’ouvris sa lettre avec curiosité.

Je n’y trouvai plus mention de rester encore en Espagne, ni de Chavigny, ni d’aucun autre prétexte, et pas un mot qui laissât sentir que je lui eusse répondu franchement sur l’affaire du conseil. Je n’eus que des louanges de la promptitude avec laquelle j’avois été à Balsaïm, et de la manière dont je m’étois acquitté de ce qui m’y avoit fait aller ; des impatiences nonpareilles d’amitié et de besoin de mon arrivée ;