Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/322

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et que ma résistance au dépouillement du duc de Noailles lui eût donné un dépit qu’il ne me pardonna jamais, il n’étoit pas temps encore de me le montrer. Je ne trouvai donc point d’obstacle à ma familiarité ordinaire avec M. le duc d’Orléans ; le cardinal même m’en témoignoit avec un mélange de déférence. Mais sur ce qui étoit affaires autres que menues ou de cour, j’en étois peu instruit, et par-ci, par-là, par morceaux, que l’habitude arrachoit à M. le duc d’Orléans dans mes tête-à-tête avec lui, sans néanmoins que je l’y excitasse. Ce n’étoit pas pourtant que le cardinal ne m’offrît de me les communiquer toutes. Il vouloit que la réserve que j’y éprouvois depuis mon retour tombât sur M. le duc d’Orléans. Mais, outre que ce prince m’en disoit trop pour que je ne visse pas à découvert qu’il ne tenoit pas à lui qu’il ne me dît tout comme auparavant, je connoissois trop le cardinal pour être la dupe de ses offres et de ses compliments. Il ne savoit par où s’y prendre pour m’éloigner de M. le duc d’Orléans : il me craignoit pour sa déclaration de premier ministre ; il vouloit également m’écarter des affaires et me ménager, tellement qu’il m’accabloit de gentillesses toutes les fois que je le rencontrois, et s’y surpassoit quand le hasard me faisoit trouver en tiers avec M. le duc d’Orléans et lui, tant pour me cajoler que pour persuader à ce prince qu’il n’oublioit rien pour être bien avec moi, m’embarrasser par là à résister aux choses qu’il entreprenoit, et affaiblir ce que je pourrois dire contre lui à M. le duc d’Orléans, sur les choses où nous ne nous trouverions pas de même avis.

Il s’en présenta bientôt une : ce fut l’exil du duc de Noailles, dont il n’osa pas me parler ; mais M. le duc d’Orléans me le dit comme une chose dont on le pressoit. Je lui demandai à propos de quoi cet exil, et il ne put me rien alléguer que de vague et de ce fantôme de cabale. Je lui répondis qu’à ce dernier égard, où, depuis mon retour, je n’avois pu apercevoir rien de réel, je ne voyois pas pourquoi