Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/348

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politesse que le roi entroit dans un âge si voisin de celui où il gouverneroit par lui-même, qu’il étoit temps que celui qui, en attendant, étoit le dépositaire de toute son autorité, lui rendit compte des choses qu’il pouvoit maintenant entendre, et qui ne pouvoient être expliquées qu’à lui seul quelque confiance que méritât quelque tiers que ce pût être, et qu’il le prioit de cesser de mettre obstacle à une chose si nécessaire et si importante, que lui régent avoit peut-être à se reprocher de n’avoir pas commencée plus tôt, uniquement par complaisance pour lui. Le maréchal s’échauffant et secouant sa perruque, répondit qu’il savoit le respect qu’il lui devoit, et pour le moins autant ce qu’il devoit au roi et à sa place, qui le chargeoit de sa personne et l’en rendoit responsable, et protesta qu’il ne souffriroit pas que Son Altesse Royale parlât au roi en particulier, parce qu’il devoit savoir tout ce qui lui étoit dit, beaucoup moins tête à tête dans un cabinet, hors de sa vue, parce que son devoir étoit de ne le perdre pas de vue un seul moment, et dans tous de répondre de sa personne. Sur ce propos, M. le duc d’Orléans le regarda fixement, et lui dit avec un ton de maître qu’il se méprenoit et s’oublioit ; qu’il devoit songer à qui il parloit et à la force de ses paroles, qu’il vouloit bien croire qu’il n’entendoit pas ; que le respect de la présence du roi l’empêchoit de lui répondre comme il le méritoit et de pousser plus loin cette conversation. Et tout de suite fit au roi une profonde révérence et s’en alla.

Le maréchal, fort en colère, le conduisit quelques pas, marmottant et gesticulant sans que M. le duc d’Orléans fît semblant de le voir et de l’entendre, laissant le roi étonné et le Fréjus riant tout bas dans ses barbes. Le hameçon si bien pris, on se douta que ce maréchal, tout audacieux qu’il étoit, mais toutefois bas et timide courtisan, sentiroit toute la différence de braver et de bavarder, d’insulter le cardinal Dubois, odieux à tout le monde et sentant encore la vile coque dont il sortoit, d’avec celle d’avoir une telle prise, et