Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/354

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monta chez le roi et me dit qu’il alloit redescendre ; les deux frères s’en allèrent de leur côté avec Pezé, et je demeurai à attendre M. le duc d’Orléans avec le cardinal Dubois. Après avoir un peu raisonné sur cette fugue de Fréjus, il me conta qu’ils avoient des nouvelles de Villeroy ; que le maréchal n’avoit cessé de crier à l’attentat commis sur sa personne, à l’audace du régent, à l’insolence de lui Dubois, ni de chanter pouille tout le chemin à Artagnan de se prêter à une violence si criminelle ; puis à invoquer les mânes du feu roi, à exalter sa confiance en lui, l’importance de la place pour laquelle il l’avoit préféré à tout le monde ; le soulèvement qu’une entreprise si hardie, et qui passoit si fort le pouvoir du régent, alloit causer dans Paris et dans tout le royaume, et le bruit qu’elle alloit faire dans tous les pays étrangers ; les choix du feu roi, pour ce qu’il laissoit de plus précieux à conserver et à former, chassés, d’abord le duc du Maine, lui ensuite ; déplorations du sort du roi, de celui de tout le royaume ; puis des élans, puis des invectives, puis des applaudissements de ses services, de sa fidélité, de sa fermeté, de son invariable attachement à son devoir ; après, des railleries piquantes à du Libois, gardien né de tous les personnages qu’on arrêtoit, sur ce qu’il avoit été mis auprès de Cellamare, auparavant de l’ambassadeur de Savoie. Enfin ce fut un homme si étonné, si troublé, si plein de dépit et de rage, qu’il étoit hors de soi et ne se posséda pas un moment. Le duc de Villeroy, le maréchal de Tallard, Biron, furent à peu près ceux qui eurent la permission d’aller à Villeroy, presque aucun autre ne la demanda. Mais ce ne fut que le lendemain.

M. le duc d’Orléans revint de chez le roi, qui nous dit que la nouvelle qu’il lui avoit portée l’avoit fort apaisé : sur quoi nous conclûmes qu’il falloit faire en sorte que Fréjus revînt dans la matinée du lendemain ; que M. le duc d’Orléans le reçût à merveilles, prît tout pour bon ; l’amadouât, lui fît entendre que ce n’étoit que pour le ménager et lui