Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/365

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M. le duc d’Orléans, à Versailles, pour y arriver à mon heure, qui étoit sur les quatre heures après midi, temps où il n’y avoit plus personne chez lui. Entrant tout de suite, je trouvai Belle-Ile seul dans ce grand cabinet, où le maréchal de Villeroy avoit été arrêté, qui m’attendoit au passage, pour me recommander l’affaire, et tâcher de la bombarder, proposition qu’il ne m’avoit point faite jusqu’alors, et qui venoit apparemment tout fraîchement d’éclore du cerveau embrasé du cardinal. Belle-Ile me lâcha ce saucisson dans l’oreille. Je passai sans m’arrêter, et j’entrai dans le cabinet de M. le duc d’Orléans.

Après quelques moments de conversation, je mis sur son bureau les papiers dont j’avois à lui rendre compte. Il se mit à son bureau, et je m’assis vis-à-vis de lui, comme j’avois accoutumé. Je trouvai un homme occupé, distrait, qui me faisoit répéter, lui qui étoit au fait avant qu’on eût achevé, et qui se plaisoit assez souvent à mêler quelques plaisanteries dans les affaires les plus sérieuses, surtout avec moi, à placer quelques bourdes et quelques disparates pour m’impatienter et s’éclater de rire de la colère où cela me mettoit toujours, et à se divertir de ce que je ne m’y accoutumois point. Cette distraction et ce sérieux me donna lieu, au bout de quelque temps, de lui en demander la cause. Il balbutia, il hésita et ne s’expliqua point. Je me mis à sourire et à lui demander s’il étoit quelque chose de ce qu’on m’avoit dit tout bas, qu’il pensoit à faire un premier ministre et à choisir le cardinal Dubois. Il me parut que ma question le mit au large, et que je le tiroir de l’embarras de s’en taire avec moi, ou de m’en parler le premier. Il prit un air plus serein et plus libre, et me dit qu’il étoit vrai que le cardinal Dubois en mouroit d’envie ; que, pour lui, il étoit las des affaires et de la contrainte où il étoit à Versailles d’y passer tous les soirs à ne savoir que devenir ; que du moins il se délassoit à Paris par des soupers libres dont il trouvoit la compagnie sous sa main, quand il vouloit quitter le