Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/367

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pelotonnoit autour de lui ; que tous les matins sa chambre étoit remplie à Versailles du plus important et du plus brillant de la cour, où on étoit assis en conversation toujours curieuse et agréable, et où on se succédoit les uns aux autres deux ou trois heures durant ; qu’à Marly, où tout étoit bien plus sous les yeux du roi qu’à Versailles, non seulement le prince de Conti étoit environné dans le salon dès qu’il y paraissoit, mais que ce qui composoit la plus illustre, la plus distinguée, la plus importante compagnie, s’asseyoit en cercle autour de lui, et en oublioit souvent les moments de se montrer au roi, et les heures des repas. Dans la journée, à la cour comme à Paris, ce prince n’étoit jamais à vide ni embarrassé de passer d’agréables soirées, tout cela sans le secours de la chasse ni du jeu, qui n’étoient pour lui que des effets rares de complaisance et nullement de son goût. Jamais dans l’obscur, dans le petit, dans la crapule, ses débauches avec gens de bonne compagnie, et de si bon aloi qu’en leur genre ils faisoient honneur partout ; d’ailleurs bonnes lectures de toute espèce et fréquentation chez lui de gens de toute robe et de diverses sciences, outre les gens de guerre et de cour, à tous lesquels il parloit leur propre langage, et les savoit ravir en se mettant à leur unisson ; attentif à plaire au valet comme au maître par une coquetterie pleine de grâces et de simplicité qui étoit née avec lui. La princesse sa femme, pour qui il avoit toutes sortes d’égards, mais qui ne savoit que jouer, ne lui étoit point un obstacle, quoiqu’il vécût comme point avec elle, et qu’il n’y pût trouver la moindre ressource. Il rendoit avec attention et distinction ce qui étoit dû à chacun ; il étoit attentif à flatter chaque seigneur, chaque militaire par des faits anciens ou nouveaux qu’il savoit placer naturellement ; il entendoit merveilleusement à faire des récits agréables, où eux ou les leurs se trouvoient avec distinction. En un mot, c’étoit un Orphée qui savoit amener autour de soi les arbres et les rochers par les charmes de sa lyre, et triompher de la haine