Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/383

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de Conti et de la duchesse de Modène, filles de la sœur aînée du cardinal Mazarin. Tous ces trésors tirés uniquement de ceux qu’il avoit su amasser, non dans un long cours d’abondance et de prospérités, mais du sein de la misère publique et des guerres civiles qu’il avoit allumées, et des étrangères qu’il trouva, qu’il renouvela, qu’il entretint jusqu’à un an près de sa mort.

Le cardinal de Richelieu et lui ont eu la même maison militaire que nos rois : des gardes, des gens d’armes, des chevau-légers, et le dernier des mousquetaires de plus, tous commandés par des seigneurs et par des gens de qualité sous eux. Personne n’ignore que le père du premier maréchal de Noailles passa immédiatement de capitaine des gardes du cardinal Mazarin à la charge de premier capitaine des gardes du corps, et que le marquis de Chandenier, dont la valeur et la vertu ont été si reconnues, et chef de la maison de Rochechouart, fut le seul des quatre capitaines des gardes dépossédés pour la ridicule affaire arrivée aux Feuillants de la rue Saint-Honoré [1], qui ne put être rétabli, parce qu’il ne le pouvoit être qu’aux dépens du domestique du cardinal Mazarin, à qui sa charge avoit été donnée.

« Voilà, monsieur, dis-je à M. le duc d’Orléans, quels ont été en tous pays les premiers ministres depuis le temps de

  1. L’événement auquel Saint-Simon fait allusion eut lieu le 15 août 1648. Comme cette ridicule affaire n’est pas toujours connue des lecteurs modernes, je citerai ici un passage du journal inédit d’Olivier d’Ormesson, où elle se trouve tout au long : « J’appris l’affaire du capitaine des gardes, qui était que le 15 août le roi étant à la procession dans les Feuillants, les archers du grand prévôt, qui n’ont droit que de tenir la porte de la rue, prirent la porte du cloître, d’où ayant refusé de sortir au commandement de M. de Gesvres, capitaine des gardes, il fit main basse sur eux et deux furent tués à coup de hallebarde. Cela fit bruit. M. le cardinal (Mazarin), qui était auprès du roi, envoya M. Le Tellier demander le bâton à M. de Gesvres, avec ordre de se retirer. M. de Gesvres refusa de lui donner le bâton, ayant fait serment de ne le rendre qu’au roi. La reine (Anne d’Autriche), étant de retour au Val-de-Grâce, traita M. de Gesvres d’étourdi, lui redemanda le bâton, lequel il rendit, et se retira. M. le comte de Charost (autre capitaine des gardes), étant commandé de prendre le bâton, refusa, disant qu’il était autant criminel que M. de Gesvres, qui n’avait rien fait que dans l’ordre et par son avis. M. de Chandenier fut ensuite mandé et refusa de même. M. de Tresmes vint se plaindre que, son fils ayant fait une faute, l’on eût voulu donner le bâton à un autre qu’à lui, à qui la charge appartenait ; que l’on ne dépossédait point ainsi les officiers en France. Il eut ordre de se retirer chez lui. Aussitôt la reine pourvut à la charge de Charost et mit en sa place Jarzé, qui prêta le serment de capitaine des gardes, et en celle de M. de Chandenier, M. de Noailles. »C’est à l’occasion de ce dernier que Saint-Simon fait allusion à la disgrâce des capitaines des gardes. Les sentiments qu’il exprime étaient ceux des contemporains, comme on le voit par la suite du journal d’Olivier d’Ormesson, qui écrivait au moment même des événements : « Chacun était fort indigné de ce procédé. L’on disait que M. le cardinal avait pris cette occasion pour mettre de ses créatures (Saint-Simon dit son domestique) auprès du roi et s’en rendre maître. »