Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/402

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Belle-Ile auprès de M. le duc d’Orléans, je lui ai toujours trouvé une opposition qui alloit à l’aversion. Je ne crois pas même m’être trompé d’avoir cru m’apercevoir qu’il le craignoit, qu’il étoit en garde continuelle contre lui de s’en laisser approcher le moins du monde, et certainement il n’a jamais voulu de lui pour quoi que ç’ait été, d’où il me semble que, lié comme il étoit avec Le Blanc, qui ne cherchoit qu’à l’avancer, et qui en étoit si à portée avec M. le duc d’Orléans, quelque prévention qu’eût eue ce prince, elle n’y auroit pas résisté, si elle n’eût été étayée des mauvais offices du cardinal Dubois, qui, avec tous les dehors de confiance pour Belle-Ile, avoit assez bon nez pour le craindre personnellement, et comme l’ami le plus intime du Blanc, qu’il avoit résolu de perdre. Quoi qu’il en soit, Belle-Ile passoit pour avoir trop utilement profité de l’amitié du Blanc, et pour avoir infiniment tiré des manéges qui se pratiquent dans les choses financières de la guerre, et en particulier de La Jonchère, dans les comptes, les affaires et le crédit duquel cela avoit causé le plus grand désordre sous les yeux et par l’autorité du Blanc.

Au lieu d’étouffer la chose, et d’y remédier pour soutenir le crédit public de cette partie importante au bien général des affaires, le cardinal la saisit pour s’en servir contre Le Blanc, et en faire sa cour à M. le Duc et à Mme de Prie, qui aussitôt lâcha M. le Duc au cardinal. Il fit donc grand bruit, pressa Le Blanc d’éclaircir cette affaire, et bientôt vint à déclarer ses soupçons de la part qu’il avoit en ce désordre. M. le Duc, poussé par sa maîtresse, se mit à poursuivre vivement cette affaire, et à ne garder plus aucunes mesures sur Le Blanc ni sur Belle-Ile. M. le duc d’Orléans, qui aimoit Le Blanc, se trouva dans le dernier embarras des vives instances de M. le Duc, qu’il redoubloit tous les jours sous prétexte du bon ordre à maintenir, et du discrédit que causoit aux affaires publiques la faillite énorme qu’un trésorier de l’extraordinaire des guerres étoit prêt à faire pour n’avoir