Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/47

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Ils étoient Espagnols d’assez bon lieu, établis à Milan depuis quelques générations, et revenus enfin en Espagne. Patino avoit été jésuite. Lui et son frère se haïssaient parfaitement, et se sont haïs toute leur vie.

Castellar aimoit fort son plaisir, paraissoit très rarement à la cour, étoit autant qu’il pouvoit dans le monde, fort paresseux avec de l’esprit, de la capacité, une grande facilité de travail, qui expédioit en deux heures avec justesse plus qu’un autre en sept ou huit heures. Il portoit avec la dernière impatience d’envoyer ses papiers à Grimaldo, et de n’en recevoir que par lui les réponses et les ordres du roi. Toutefois il fit tant qu’il parvint pendant que j’étois à Madrid, à travailler avec le roi deux fois assez près à près, et cela fit nouvelle et mouvement dans la cour. Grimaldo ne s’en émut pas, et il eut raison. Castellar ne put se contenir de témoigner au roi que tout se perdoit par cette façon de faire passer toutes leurs affaires par Grimaldo, et de ne travailler qu’avec lui. Cette représentation peut-être trop forte, et qui put aussi être un peu aigre, déplut au roi, qui depuis ne voulut plus travailler avec lui, et il en arriva autant à celui qui étoit par interim en premier aux finances, qu’au premier travail de Castellar avec le roi, il y avoit poullié. Ainsi Grimaldo, sans se remuer le moins du monde, continua tranquillement à faire seul avec le roi la besogne de tous.

Ce mauvais succès de Castellar acheva de le piquer. Sa femme n’étoit pas moins haute que celle de Grimaldo, et personnellement [elles] ne se pouvoient souffrir l’une l’autre. Le feu s’alluma donc tout à fait entre elles et entre leurs maris. Castellar se lâcha indiscrètement sur Grimaldo, qu’il força, malgré lui, à se fâcher. Cela fit du bruit et des partis, mais celui de Castellar n’étoit rien en comparaison de celui de Grimaldo, qui avoit pour lui la faveur et la confiance privative de toutes les affaires.

Castellar me voyoit assez, sa conversation étoit fort agréable. On me voyoit bien avec lui et beaucoup mieux encore