Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/58

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monde, vivoit fort noblement et se faisoit aimer et estimer. Il me donna un grand, magnifique et excellent repas la veille de mon départ, avec toute sorte d’aisance et de politesse.

Après avoir différé, et parlé de tous les ministres étrangers, il faut enfin venir à M. de Maulevrier. De ma vie je ne Pavais vu qu’à Madrid, ni n’avois eu occasion de rien direct ni indirect à son égard, ni avec personne qui lui touchât en rien. Le seul des siens que j’avois vu et connu étoit l’abbé de Maulevrier, son oncle, aumônier du feu roi, dont il a été parlé ici quelquefois, et avec lequel j’avois toujours été fort bien. J’ignore donc en quoi je pus déplaire à un homme entièrement inconnu, et qui sans mon consentement n’auroit pas eu l’honneur de recevoir le caractère d’ambassadeur du roi. Dès Paris, je savois qu’il avoit trouvé fort mauvais que je vinsse en Espagne, et comme je l’ai déjà dit, qu’on n’eût pas choisi le duc de Villeroy ou La Feuillade. Je résolus d’ignorer cette impertinence, et de vivre avec lui comme si j’eusse été content de lui. Je trouvai un homme fort respectueux, fort silencieux, fort réservé, et je m’aperçus bientôt qu’il n’y avoit rien dans cette épaisse bouteille que de l’humeur, de la grossièreté et des sottises. Je ne sais où l’abbé Dubois avoit pris un animal si mal peigné.

Il l’avoit fait accompagner par un marchand, devenu petit financier, qui s’appeloit Robin, et qui en portoit tout à fait la mine. C’étoit pour le diriger dans les affaires du commerce, mais il se trouva qu’il le dirigeoit dans toutes, et que sans Robin aucune n’eût marché. Aussi Robin, qui avoit de l’esprit et du sens, ayant envie d’être dépêché au roi pour lui porter son contrat de mariage, je n’osai priver Maulevrier de son mentor, quoiqu’ils m’en priassent tous deux. Je me contentai de mander le refus au cardinal Dubois sans m’expliquer de la raison. Le cardinal ne fut pas si réservé dans sa réponse à cet article. Il me remercia de l’avoir refusé, et ajouta plaisamment que Robin étoit l’Apollon sans