Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/97

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l’un d’eux, mais à porte ouverte, s’il y venoit de hasard quelque autre. J’en ai trouvé quelquefois en faisant des visites. Ils demeuroient là trois heures ensemble à causer, presque jamais à jouer. On leur apportoit du chocolat, des biscuits, de la mousse de sucre, des eaux glacées, le tout à la main. Les dames espagnoles vivoient de même entre elles. Dans les beaux jours le cours étoit assez fréquenté dans la belle rue, qui conduit au Retiro, ou en bas sous des arbres entre quelques fontaines, le long du Mançanarez. Ils voyoient et rarement les étrangers en visite, et ne se mêloient point avec eux. À l’égard de ceux-ci, hommes et femmes mangeoient et vivoient à la française, en liberté, et se rassembloient fort entre eux en diverses maisons. La cour montroit quelquefois que cela n’étoit pas de son goût, et s’en lassa à la fin, parce qu’il n’en étoit autre chose. De paroisses ni d’office canonical, c’est ce qui ne se fréquentoit point ; mais des saluts, des processions, et la messe basse dans les couvents. On rencontre par les rues beaucoup moins de prêtres et de moines qu’à Paris, quoique Madrid soit plein de couvents des deux sexes.

L’usage est que les dames envoient de loin à loin savoir des nouvelles des seigneurs fort distingués. Cela s’appelle un recao [1]  ; et le même usage veut que le lendemain, au moins très peu après, celui qui a reçu ce recao aille en remercier la dame. Cela m’est souvent arrivé, et souvent aussi je trouvois la dame seule. Je voyois souvent, indépendamment des recao, la comtesse de Lemos et la duchesse douairière d’Ossone : la première, sœur du duc de Medina-Sidonia, l’autre, fille du dernier connétable de Castille ; toutes deux magnifiquement logées et superbement meublées. Cette dernière aimoit fort M. le duc d’Orléans qui l’avoit beaucoup vue à Madrid. Il me l’avoit fort recommandée, et m’avoit chargé

  1. On dit ordinairement recado, mot qui signifie compliment que l’on fait faire à quelqu’un.