Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/98

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de lui faire ses compliments. Elle avoit chez elle une salle d’opéra complète, moins large, un peu moins longue, mais bien autrement belle que celle de Paris, et singulièrement commode pour les communications des loges de l’amphithéâtre et du parterre. Ces deux dames n’auroient point paru désagréables ici, parloient bien François, et avoient, surtout la dernière, une conversation extrêmement agréable, et toutes deux l’air de très grandes dames, ainsi qu’elles l’étoient en effet. Je voyois aussi plusieurs autres dames.

La première que je visitai en arrivant à Madrid fut la marquise de Grimaldo. On ne m’avoit point averti de la façon de recevoir en usage pour les dames. Je la trouvai au fond d’un cabinet en face de la porte, avec quelque compagnie d’hommes et de femmes, des deux côtés. Elle se leva dès qu’elle me vit entrer, mais sans démarrer d’un pas, et s’inclina, lorsque j’approchai, comme font les religieuses, qui est leur révérence. Quand je me retirai, elle en fit autant, sans avancer d’une ligne, ni aucune excuse de ce qu’elle n’en faisoit pas davantage : c’est l’usage du pays. Pour les hommes, ils viennent plus ou moins loin au-devant, et reconduisent de même suivant les conditions des gens, car tout est réglé et certain, et néanmoins n’ôte pas l’importunité des compliments. De part et d’autre on s’en fait bien plus qu’ici pour empêcher ou pour prolonger la conduite. Chacun des deux sait bien jusqu’où elle doit aller, que rien ne l’abrégera ni ne l’étendra, que tout ce qui se dit de part et d’autre est parfaitement inutile, que l’un seroit blâmé, l’autre justement offensé si la conduite ne s’accomplissoit pas en entier telle qu’elle doit être. Tout cela n’empêche point qu’on ne s’arrête à tout moment, et que ces compliments ne durent la moitié du temps de la visite ; cela est insupportable (on parle ici des visites de cérémonie). Mais quand la familiarité est établie, on vit ensemble à peu près comme on fait ici. En aucun cas les femmes ne vont voir les hommes ; mais elles vont chezeux lorsqu’elles en sont priées