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HUET

côté poétique et gai. Tous deux se régalent à l’envi d’épigrammes et de vers. On y voit dès le début, à la date de février 1660, à quel point Huet, préoccupé des doctes hommes d’alors qu’il avait connus dans ses voyages de Suède et de Hollande, des Saumaise, des Vossius, Heinsius, Gronovius, ces Princes des belles-lettres, paraît peu se douter que la littérature française est à la veille d’éclater dans sa plus belle floraison avec les Racine, les La Fontaine et les Despréaux. À propos des poésies latines ou françaises qu’échangent entre eux Huet et Ménage, on se plairait à saisir quelques saillies de jeunesse du futur prélat, quelque filet de verve gauloise et rabelaisienne. Huet et Ménage s’étaient tous deux attelés à deux grosses besognes, Ménage à des observations sur Diogène Laërce, Huet à une traduction d’Origène, dont il avait retrouvé un manuscrit : ce sont de ces travaux qui font honneur à ceux qui les mènent à fin, mais qu’on maudit tout en les exécutant. Huet souhaitait à Ménage de sortir de son Laërce, et il souhaitait lui-même d’être quitte de son Origène : « C’est une étude ingrate, disait-il, qui me dérobe les plus belles heures de ma vie… Si je me trouve délivré de ce fardeau quand vous le serez de votre Laërce, nous pourrons ensuite goguenarder tout à notre aise, et faire des vers à ventre déboutonné. » Je ne donne pas le mot pour élégant, mais c’est ainsi que parlaient les plus polis de nos aïeux, quand ils étaient savants et qu’avril les mettait en pointe de belle humeur. Huet désire quelquefois visiter Paris et Ménage ; quel plaisir alors de chômer la fête avec son ami par quelque petit repas frugal, où l’esprit seul fasse la debauche ! il appelle cela des Saturnales. Il faudrait, pour donner idée de ces gaietés de Huet, citer plus de latin que je n’en puis mettre ici, car Huet achève souvent en latin une phrase