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MADAME D’ÉPINAY.

cette exécrable morale tout intéressée. Ici, Au xviiie siècle, ce n’est plus la vieille Macette, mais une Macette plus jeune et plus fine d’esprit, plus fraîche de joue, c’est Mlle  d’Ette qui remplit exactement le même rôle auprès d’une jeune femme du monde. La corruption de tous les temps se ressemble fort, à la voir au fond, mais elle diffère de forme, de ton et de costume. Au xviiie siècle, le type de cette corruption féminine, décente d’apparence, vient s’offrir à nous dans Mlle  d’Ette.

Toutes les scènes où elle figure sont excellentes et prises sur nature : mais la première, dans laquelle elle arrache le secret à la jeune femme et l’excite à aller plus avant, passe toutes les autres. La situation précise est celle-ci. La jeune Emilie, nouvellement relevée de couches, triste des infidélités de son mari, le méprisant déjà et en ayant le droit, ayant vu l’aimable Francueil et s’y intéressant vaguement, n’ose encore pourtant se déclarer, et ne voit son propre désir qu’à travers un nuage. C’est alors que l’accorte et insidieuse conseillère paraît :


« Mlle  d’Ette est venue passer la journée avec moi, écrit Emilie. Après le dîner, je me suis mise sur ma chaise longue. Je me sentais de la pesanteur, de l’ennui ; je bâillais à tout instant, et, craignant qu’elle n’imaginât que sa présence me gênait ou m’était désagréable, je feignis d’avoir envie de dormir, espérant à la fin faire passer cette disposition. Mais point : elle ne fit qu’augmenter ; la tristesse s’empara de moi, et je me sentais le besoin de dire que j’étais triste. Les larmes me venaient aux yeux, je ne pouvais plus y tenir. »


Dans cet état de vague et de langueur, la jeune femme s’excuse auprès de son amie : «Je crois que ce sont des vapeurs, je me sens bien mal à mon aise. »


« Ne vous gênez pas, me dit-elle. Vraiment oui, vous avez des vapeurs, et ce n’est pas d’aujourd’hui ; mais je n’ai eu garde de vous en rien dire, car j’aurais redoublé votre mal. »