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CAUSERIES DU LUNDI.

Puffendorf, et, pendant que vous lisez Puffendorf, ne pensez point à Mme de Saint-Germain ; ni à Puffendorf quand vous parlez à Mme de Saint-Germain. » Mais cette libre et forte disposition de la pensée aux ordres de la volonté, n’est le propre que des grands ou des très-bons esprits.

M. Royer-Collard avait coutume de dire « que ce qui manquait le plus de nos jours, c’était le respect dans l’ordre moral, et l’attention dans l’ordre intellectuel. » Lord Cheslerfield, sous son air moins grave, eût été capable de dire ce mot-là. Il n’avait pas été long à sentir ce qui manquait à cet enfant qu’il voulait former, et dont il avait fait l’occupation et le but de sa vie : « En scrutant à fond votre personne, lui disait-il, je n’ai, Dieu merci, découvert jusqu’ici aucun vice du cœur ni aucune faiblesse de la tête ; mais j’ai découvert de la paresse, de l’inattention et de l’indifférence, défauts qui ne sont pardonnables que dans les personnes âgées, qui, sur le déclin de leur vie, quand la santé et la vivacité tombent, ont une espèce de droit à cette sorte de tranquillité. Mais un jeune homme doit être ambitieux de briller et d’exceller. » Or, c’est précisément ce feu sacré, cette étincelle qui fait les Achille, les Alexandre et les César, être le premier en tout ce qu’on entreprend, c’est cette devise des grands cœurs et qui est celle des hommes éminents en tout genre, que la nature avait tout d’abord négligé de mettre dans l’âme honnête, mais foncièrement médiocre, du petit Stanhope : « Vous paraissez manquer, lui disait son père, de ce vivida vis animi qui anime, qui excite la plupart des jeunes gens à plaire, à briller, à effacer les autres. » — « Quand j’étais à votre âge, lui dit-il encore, j’aurais été honteux qu’un autre eût mieux appris sa leçon, l’eût emporté sur moi à aucun jeu, et je n’aurais trouvé de repos que je n’eusse repris