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CAUSERIES DU LUNDI.

rale, à cet égard, se résumerait dans ce vers de Voltaire :

Il n’est jamais de mal en bonne compagnie.

C’est à ces endroits surtout que la pudeur du grave Johnson s’est voilée ; la nôtre se contente d’y sourire.

Le sérieux et le léger s’entremêlent à chaque instant dans ces lettres. Marcel, le maître à danser, est fort souvent recommandé ; Montesquieu ne l’est pas moins. L’abbé de Guasco, espèce de complaisant de Montesquieu, est un personnage utile pour servir d’introducteur çà et là : « Entre vous et moi, écrit Chesterfield, il a plus de savoir que de génie ; mais un habile homme sait tirer parti de tout, et tout homme est bon à quelque chose. Quant au Président de Montesquieu, c’est, à tous égards, une connaissance précieuse. Il a du génie avec la plus vaste lecture du monde. Puisez dans cette source tant que vous pourrez. »

Parmi les auteurs, ceux que Chesterfield recommande surtout à cette époque, et qui reviennent le plus habituellement dans ses conseils, sont La Rochefoucauld et La Bruyère : « Si vous lisez le matin quelques maximes de La Rochefoucauld, considérez-les, examinez-les bien, et comparez-les avec les originaux que vous trouvez les soirs. Lisez La Bruyère le matin, et voyez le soir si ses portraits sont ressemblants. » Mais ces excellents guides ne doivent eux-mêmes avoir d’autre utilité que celle d’une carte de géographie. Sans l’observation directe et l’expérience, ils seraient inutiles et même induiraient en erreur autant qu’une carte géographique pourrait le faire, si l’on voulait y chercher une connaissance complète des villes et des provinces. Mieux vaut lire un homme que dix livres : « Le monde est un pays que jamais personne n’a connu au moyen des descriptions ;