Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
CHESTERFIELD

chacun de nous doit le parcourir en personne, pour y être initié. »

Voici quelques préceptes ou remarques, qui sont dignes de ces maîtres de la morale humaine :


« La connaissance la plus essentielle de toutes, je veux dire la connaissance du monde, ne s’acquiert jamais sans une grande attention, et je connais bon nombre de personnes âgées qui, après avoir été fort répandues, ne sont encore que des enfants dans la connaissance du monde. »

« La nature humaine est la même dans le monde entier ; mais ses opérations sont tellement variées par l’éducation et par l’habitude, que nous devons la voir sous tous ses costumes pour lier connaissance avec elle jusqu’à l’intimité. »

« Presque tous les hommes sont nés avec toutes les passions à un certain degré ; mais il n’y a presque point d’homme qui n’en ait une dominante, à laquelle les autres sont subordonnées. Faites sur chaque individu la découverte de cette passion gouvernante ; fouillez dans les replis de son cœur, et observez les divers effets de la même passion dans différentes personnes. Et quand vous aurez trouvé la passion dominante d’un homme, souvenez-vous de ne jamais vous fier à lui là où cette passion est intéressée. »

« Si vous voulez gagner en particulier les bonnes grâces et l’affection de certaines gens, hommes ou femmes, tâchez de découvrir leur mérite le plus saillant, s’ils en ont, et leur faiblesse dominante, car chacun a la sienne ; puis rendez justice à l’un, et un peu plus que justice à l’autre. »

« Les femmes, on général, n’ont guère qu’un objet, qui est leur beauté, sur lequel il est à peine une flatterie qui, pour elles, soit trop grosse à avaler. »

« La flatterie qui touche le plus les femmes réellement belles, ou d’une laideur décidée, est celle qui s’adresse à l’esprit. »


À propos des femmes encore, s’il semble bien dédaigneux parfois, il leur fait ailleurs réparation, et surtout, quoi qu’il en pense, il ne permet pas à son fils d’en trop médire :


« Vous paraissez croire que, depuis Ève jusqu’à nos jours, elles ont fait beaucoup de mal ; pour ce qui est de cette dame-là, je vous