Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
CAUSERIES DU LUNDI.

aux finances, il ne paraît y avoir porté aucune vue d’amélioration générale, aucune pensée de bien public ; loin de là, il ne cessa vilainement d’y poursuivre son propre gain et son profit. Lui qui connaissait si bien les hommes, il est un point du génie français qui lui a toujours échappé, un point sur lequel il ne fut Français ni d’accent, ni de sentiment, ni d’intelligence. Je lui passe d’avoir été ignorantissime dans les choses d’antique magistrature et de Parlement, mais il ne sentit pas ce ressort si énergique de notre monarchie au dedans, l’honneur, et le parti qu’on en pouvait tirer. Il laissait insensiblement le pouvoir s’avilir entre ses mains. Il en laissait avilir la plus belle prérogative, c’est-à-dire les grâces et les bienfaits ; il savait être illibéral en promettant et quelquefois même en donnant ; il accordait trop visiblement à ceux dont il avait peur, et retenait tout dès qu’il pouvait tout. La félicité suprême de ses dernières années montra le fond de son cœur, et ce cœur n’était rien moins que haut et désintéressé. Il n’avait pas l’âme royale, ce seul mot en dit assez. Il mêlait de petites vues, et presque sordides, même à de grands projets. Sans doute il fut heureux, il réussit finalement en tout ; « il est mort, comme on l’a dit, entre les bras de la Fortune. » Respectons jusqu’à un certain point cette fortune, à demi fille de l’habileté, mais ne l’adorons pas. Sachons apercevoir le mépris public qui se glissait à travers et qui croissait chaque jour, ce mépris qui, comme une fièvre lente, mine les pouvoirs et les États. Entre Richelieu et Louis XIV, peut-être fallait-il un tel homme pour donner quelque répit et détendre les courages ; mais un seul jour de plus eût été trop, et il ne fallut pas moins ensuite qu’un roi qui sut être si roi, pour relever la royauté de cette sujétion à un ministre si absolu et si peu royal.

Telle est, après avoir lu M. de Laborde et la plupart