Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
BÉRANGER.


Béranger a de ces vers heureux qui sont d’un vrai poëte et d’un peintre, de ces coins de tableaux frais et riants, à condition qu’ils ne se prolongent pas. Ainsi dans les Hirondelles :

Au détour d’une eau qui chemine
A flots purs sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine…


Ainsi, dans Maudit Printemps, quand il regrette l’hiver, et qu’il voudrait qu’on entendît

Tinter sur la vitre sonore
Le grésil léger qui bondit.


Ainsi encore, dans le Voyage imaginaire, ce vers tout matinal :

J’ai sur l’Hymette éveillé les abeilles.


C’est tout un ciel, tout un paysage en un vers, et un tel vers rachète bien des choses. Je dis rachète, car, du moment que nous ne chantons plus et que nous lisons, le faible, le commun, le recherché et l’obscur nous apparaissent même dans ces petites trames si bien ourdies. Le mouvement du refrain enlevait et sauvait tout ; mais, dès que le ballon n’est plus lancé et qu’il ne nage plus dans la lumière, on saisit de l’œil les défauts, les fissures et les coutures.

Les coutures, en effet, et en voulez-vous ? Dans le Vieux Célibataire, par exemple, qu’est-ce que ces vers :

A mon coucher ton aimable présence
Pour ton bonheur ne sera pas sans fruit ?


Est-il rien de plus impropre et de plus prosaïque à la fois ? Et plus loin :

Auprès de moi coule des jours paisibles ;