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BÉRANGER.


Banni des bras de ses amis, n’est-ce pas une expression bien académique pour quelqu’un qui ne veut pas être académicien ? On pourrait continuer cette manière de critique sur la plupart des pièces, et je ne fais qu’indiquer la voie. Dans la Bonne Vieille, le troisième couplet est d’un geste bien déclamatoire encore et bien académique :

D’un trait méchant se montra-t-il capable ?
Avec orgueil vous répondrez : Jamais !


S’il avait dit aussi bien d’un trait malin, il aurait fallu répondre : Toujours. Cette Bonne Vieille rappelle, sans du tout l’effacer, certain sonnet admirable de Ronsard à sa maîtresse, ce qui n’empêche pas Béranger de donner, dans sa Préface de 1833, un petit coup de patte à Ronsard, qui était peu en faveur alors. Et j’ajouterai, en passant, qu’il ne cesse à la rencontre de donner aussi des chiquenaudes à André Chénier, ce jeune maître si hors d’atteinte par le souffle et la largeur de l’inspiration et par le tissu du style.

Dans le Dieu des Bonnes Gens il y a une idée élevée, morale même dans un certain sens, dans le sens de l’abbaye de Thélème ; mais l’exécution, de tout point, y répond-elle ? La troisième strophe semble atteindre un moment au sublime :

Un conquérant, dans sa fortune altière,
Se fit un jeu des sceptres et des lois ;
Et de ses pieds on peut voir la poussière
Empreinte encor sur le bandeau des rois.
Vous rampiez tous, ô Rois qu’on déifie !
Moi, pour braver des maîtres exigeants.
Le verre en main gaiement je me confie
Le vAu Dieu des bonnes gens.

Hélas ! c’est dommage : ces rois qu’on déifie, ces maîtres