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GOETHE ET BETTINA.

Titania, a aussi, comme, Mignon de Wilhelm Meister, du sang italien dans les veines. Bettina a beau se faire Allemande autant que possible, elle ne peut se contenter tout à fait de cette vénération esthétique et idéale qui ne suffit pas à la nature. Il y a des moments où, sans bien s’en rendre compte, elle désire plus ; elle voudrait passer tout un printemps avec son auguste ami. Elle voudrait se donner tout entière en esprit, mais qu’on se donnât aussi en retour : « Peut-on recevoir un présent sans se donner, soi aussi, en présent ? remarque-t-elle très-bien. Ce qui ne se donne pas tout entier et pour toujours, peut-on l’appeler un don ? » Or Goethe se montre, mais il ne se donne pas. Il lui écrit des lettres courtes, et quelquefois par un secrétaire ; elle s’irrite alors, elle boude. Elle demande peu, mais que ce peu soit au moins tout entier de lui : « Tu m’as dans mes lettres, dit-elle ; mais moi, t’ai-je dans les tiennes ?» Depuis la mort de la mère de Goethe, Bettina a plus de sujet de se plaindre ; car cette bonne mère connaissait son fils et expliquait à la jeune fille comme quoi l’émotion du poëte se retrouvait dans ces quelques lignes légèrement tracées, et qui eussent paru peu de chose venant d’un autre : « Moi, je connais bien Wolfgang (Goethe), disait-elle ; il a écrit ceci le cœur plein d’émotion. » Mais, depuis que Bettina n’a plus cette clairvoyante interprète pour la rassurer, il lui arrive de douter quelquefois. Au reste, la douleur n’a pas le temps de se glisser à travers toutes ces explosions de fantaisie et ces fusées brillantes, et l’on se prend, en la lisant, à répéter avec Goethe lui-même que ce sont là d’aimables illusions : « Car qui pourrait raisonnablement croire à tant d’amour ? Il vaut mieux accepter tout cela comme un rêve. »

Si Goethe était réellement amoureux, remarquez bien