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M. DE BROGLIE.

est devenu non-seulement le témoignage éclatant de tout le dévergondage et de toute la démence auxquels l’esprit humain peut se livrer quand il est abandonné sans aucun frein, mais il est devenu encore une école de débauche, une école de crimes, et une école qui fait des disciples que l’on revoit ensuite sur les bancs des Cours d’assises attester par leur langage, après l’avoir prouvé par leurs actions, et la profonde dégradation de leur intelligence et la profonde dépravation de leurs âmes. »


Quoi qu’il en soit, les articles de M. de Broglie dans la Revue française, surtout les trois articles que j’ai indiqués, à propos du livre de W. Lucas, de celui de M. Broussais, et de l’Othello traduit par M. de Vigny, honoreront la critique littéraire des dernières années de la Restauration. Ces articles sont des traités ; ils en ont presque l’étendue. On y reconnaît un esprit grave, élevé, méthodique, précis et net dans ses déductions, et qui se joue parfois dans le détail, non sans agrément. L’écrivain ne se donne que comme amateur et comme l’un du parterre, et il est maître. Je ne me permettrai d’exprimer qu’une seule critique pour la manière dont ces articles sont conçus et composés. C’est bien, c’est ingénieux, c’est profond, mais c’est un peu dense ; il y manque du jour et de la lumière, quelques éclaircies par-ci par-là. « Avant d’employer un beau mot, faites-lui une place, » a dit un critique excellent. Je trouve maint beau mot, mainte belle pensée chez M. de Broglie, mais on n’a pas toujours l’espace et la place pour les regarder. On voit trop l’esprit sérieux qui s’est appliqué tout entier à la chose même, et qui n’écrit qu’en présence de son sujet, sans s’inquiéter assez de l’effet sur ses lecteurs. Ce n’est pas, encore une fois, un certain agrément ingénieux qui manque, mais cet agrément disparaît un peu dans la continuité même, dans la suite de l’application et de l’approfondissement.

Ainsi, dans l’article si distingué sur Othello et sur l’art