Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414
CAUSERIES DU LUNDI.

sa mort. Aussi presque tous ceux qui lui sont favorables (et tous le sont plus ou moins dans le procès de réhabilitation) s’attachent-ils à croire et à faire croire qu’elle ne s’est jamais donnée que comme destinée à un rôle très-particulier, par exemple à faire lever le siége d’Orléans et a conduire le roi à Reims, rien de plus. Il en résulterait que tout ce que les voix lui avaient prédit à l’avance, elle l’a accompli. Mais c’est là une complaisance de l’imagination nationale et populaire qui voudrait, après coup, rendre Jeanne infaillible. Il résulte des témoignages positifs, aujourd’hui connus, qu’elle se promettait et que ses voix lui promettaient beaucoup plus de choses qu’elle ne vint à bout d’en accomplir ; et il lui fallut, à l’article de la mort, un effort de foi et de suprême confiance en Dieu, pour qu’après bien des agonies et des défaillances, elle pût se relever et s’écrier jusqu’au milieu des flammes que ses voix, en définitive, ne l’avaient pas trompée.

Quand j’ai insisté sur le côté énergique et un peu rude de la noble bergère, loin de moi l’idée de lui refuser le don de douceur, douceur qui n’en était que plus réelle et sentie pour ne pas être excessive ! Dans la marche de Reims sur Paris (août 1429), comme elle arrivait avec le roi du côté de La Ferté-Milon et de Crépy-en-Valois, le peuple se portait en foule à la rencontre, en criant : Noël ! La Pucelle, qui était pour lors à cheval entre l’archevêque de Reims et le comte de Dunois, leur dit : « Voilà un bon peuple, et je n’ai vu aucun autre peuple se tant réjouir de l’arrivée d’un si noble roi. Et plût à Dieu que je fusse assez heureuse, quand je finirai mes jours, pour pouvoir être inhumée dans cette terre ! » Sur quoi l’archevêque lui dit : « Ô Jeanne, en quel lieu avez-vous espoir de mourir ? » Et elle répondit : « Où il plaira à Dieu, car je ne suis pas plus assurée du temps