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CAUSERIES DU LUNDI.

tion ; il y répandait les imaginations les plus folles, les plus réjouissantes, et qui portaient souvent leur fin bon sens avec elles. En cela, il était unique de son espèce. Diderot nous a conservé dans ses lettres à Mme Voland quelques-uns des bons contes de l’abbé, celui du porco sacro, l’apologue du grand et gros moine en malle-poste, le conte de l’archevêque contrefaisant une duchesse au lit devant un cardinal qui la visite, et les coliques de la fausse duchesse et ce qui s’ensuit, enfin mille folies intraduisibles, et qui, sous la plume de Diderot lui-même sont restées à l’état de simple canevas : cela se parle, cela se joue et s’improvise, mais cela ne s’écrit pas. Les anciens avaient les mimes (petites scènes) de Sophron et on les a perdus : nous avons perdu les mimes de l’abbé Galiani. Diderot nous a très-bien rendu pourtant l’apologue du Coucou, du Rossignol et de l’Âne, et on le peut lire dans ses Œuvres ; mais, en fait d’apologue de Galiani, j’aime mieux rappeler celui que je trouve rapporté dans les Mémoires de l’abbé Morellet et qui est célèbre.

Un jour, chez le baron d’Holbach, après dîner, les philosophes rassemblés avaient causé de Dieu à tue-tête et avaient dit des choses « à faire tomber cent fois le tonnerre sur la maison, s’il tombait pour cela. » Galiani avait écouté patiemment toute cette dissertation intrépide ; enfin, lassé de voir tout ce monde ne prendre qu’un seul côté de la question, il dit :


« Messieurs les philosophes, vous allez bien vite. Je commence par vous dire que, si j’étais pape, je vous ferais mettre à i’inquisition, et, si j’étais roi de France, à la Bastille ; mais, comme j’ai le bonheur de n’être ni l’un ni l’autre, je reviendrai dîner jeudi prochain, et vous m’entendrez comme j’ai eu la patience de vous entendre, et je vous réfuterai. »